Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas Jennel s'approcher.
Jennel s’assit sur le tronc d’arbre, les bras croisés sur ses genoux. Contrairement à tout à l’heure, elle ne portait plus son pantalon militaire usé. Ce soir, elle portait une petite jupe en jean qui dévoilait ses jambes fines et musclées. Elle croisa les jambes, et Alan ne put s’empêcher de remarquer à quel point elles étaient jolies.
Il détourna rapidement le regard, mais il était trop tard. Il l’avait vue. Et il ne pouvait nier ce qu’il ressentait.
Jennel était belle. D’une beauté discrète, presque insaisissable, mais bien réelle. Sa chevelure sombre tombait en mèches désordonnées autour de son visage, et ses yeux, profonds et inquiets, semblaient toujours analyser le monde avec une attention silencieuse.
Alan se mordit l’intérieur de la joue. Il s’en voulait de se laisser aller à ces pensées. Ce n’était ni le lieu ni le moment. Comment pouvait-il penser à ?a, alors que le monde entier s’effondrait autour d’eux ?
Et pourtant, cette pensée persistait.
Il se redressa légèrement, les mains glissées dans ses poches, cherchant à masquer son trouble. Mais la sensation demeurait, ancrée en lui. Une sensation qu’il n’avait plus ressentie depuis des années.
L’amour était peut-être une victoire sur la mort… mais il n’était pas s?r d’être prêt à l’accepter.
? Désolée pour mon attitude ?, dit-elle après un moment de silence. ? J'étais perturbée par cette histoire de Spectre, comme tu dis. ?
Alan haussa légèrement les épaules, un sourire amusé aux lèvres.
? Pas grave. J'aime ton air bougon. ?
Jennel eut un sourire, un peu crispé, mais sincère.
? Ce n'est pas un air bougon. ?
? Si. ?
? Non. ?
? Si. ?
Ils éclatèrent de rire, brisant enfin la glace.
Jennel, le regard pétillant, pencha légèrement la tête.
? Tu as rajeuni ? ?
Alan hocha la tête. ? En partant de 64. ?
Jennel écarquilla les yeux, feignant la surprise.
? Un papy ! ? lan?a-t-elle avec un sourire taquin.
? Le doyen du groupe. ?, ajouta-t-elle avec amusement.
Alan haussa les épaules.
? Moi, 27. ?
Un bref silence s'installa. Alan resta sto?que, puis ajouta avec un sourire en coin :
? Tu sais que les vieux aiment bien les petites jeunes. ?
Jennel éclata de rire. ? Attends, j'appelle la police. ?
Leurs rires résonnèrent dans la nuit calme, dissipant un peu plus les tensions de la journée.
Puis, sans trop savoir comment, les rires laissèrent place à des confidences.
Au début, leurs paroles étaient hésitantes. Aucun des deux n'osait aborder les premiers jours. C'était encore trop lourd, trop douloureux. Les images de leurs proches disparus, des rues vides, du silence oppressant… tout cela restait enfoui dans un coin sombre de leur esprit, un coin qu'ils n'étaient pas prêts à ouvrir. Alors, ils restaient en surface, partageant les souvenirs qu'ils parvenaient à rendre supportables.
Alan, après un long moment de silence, se lan?a finalement.
? C'était sur le parvis de la cathédrale. ?
Jennel tourna lentement la tête vers lui, attentive, son regard posé comme une invitation à continuer.
? Il était fou. Il hurlait des prophéties. Des trucs incompréhensibles sur la fin du monde, sur des signes divins... Il tenait un couteau de cuisine, rouillé. ?
Il marqua une pause, son regard perdu dans un souvenir trop vivace.
? Il s'approchait. Moi, je... je l'ai vu trop tard. Je ne voyais pas de Spectre à l’époque. Il m'a menacé. J'avais une arme, une vieux fusil... et j'ai tiré. ?
Alan passa une main sur son visage, comme pour chasser un frisson invisible.
? Le coup de feu a résonné dans tout le quartier. Le silence qui a suivi... c'était pire. Comme si la ville elle-même retenait son souffle. ?
Jennel ne disait rien, mais son regard restait ancré dans celui d'Alan, lui offrant un réconfort silencieux. Il poursuivit, les mots lui venant plus facilement maintenant.
? Il y a eu cette femme, ensuite. Elle était complètement perdue. Elle pleurait, criait... Elle disait que les morts allaient revenir, qu'ils ne devaient pas rester à l'air libre. Alors, j'ai creusé. J'ai enterré les corps. Certains étaient déjà en décomposition. L'odeur... ?
Il secoua la tête, son expression se tordant légèrement.
? Elle m'a collé à la peau pendant des jours. Peu importe combien de fois je me lavais, je la sentais encore. C'était comme si elle était devenue une part de moi. ?
Quelques instants de silence puis Jennel prit une inspiration tremblante avant de partager à son tour.
Elle baissa les yeux un instant, comme si les images ressurgissaient devant elle.
? C'était au tout début... ?, murmura-t-elle. ? Je cherchais de la nourriture dans un supermarché. J'étais seule. Je pensais que personne ne viendrait... ?
Elle marqua une pause, ses mains se crispant légèrement sur ses genoux.
? Et puis il est apparu. Je ne l'ai pas entendu arriver. Il s'est jeté sur moi sans un mot. Je me suis débattue... Je me souviens du bruit des étagères qui tombaient, des bo?tes qui roulaient par terre. Et puis... le couteau. ?
Alan resta silencieux, la laissant continuer.
? Je ne sais même pas où je l'ai trouvé. Par terre sans doute. Tout est flou. Mais je l'ai planté. Une fois, deux fois... et encore. Le sang... Il y en avait partout. Sur mes mains, sur mes vêtements. ?
Sa voix se brisa légèrement, et elle passa ses paumes sur ses cuisses, comme si elle pouvait encore sentir la viscosité du sang.
? Je ne pouvais plus bouger. Je suis restée là, assise au milieu de tout ?a. Il était mort... et moi, je ne savais même pas si je devais pleurer ou vomir. ?
Alan, instinctivement, posa une main sur la sienne. Elle ne recula pas. Son regard restait fixé sur le sol, mais le contact semblait la ramener au présent.
? Après avoir quitté le supermarché... j'étais en état de choc, je crois. J'avais encore ce couteau en main. L'homme que j'avais... que j'avais d? tuer ne savait même pas mon nom. Il voulait juste... il voulait me voler, ou pire s?rement.
Je me suis retrouvée dehors, titubant comme une idiote avec ce couteau ensanglanté. Je ne savais pas où aller, ni quoi faire. Puis Rose est apparue. Elle est venue vers moi avec prudence. Elle a vu le sang, elle a vu l'arme. Mais elle ne m'a pas fuie. ?
Jennel eut un sourire triste.
? Au lieu de ?a, elle m'a tendu la main. "Viens", qu'elle m'a dit. Elle m'a amenée à une fontaine où l'eau coulait encore. Là, elle m'a aidée à laver mes mains, à me débarrasser du sang. Elle avait des vêtements propres dans son sac et m'a dit de me changer. Je crois que... je crois que c'était la première fois que je me sentais en sécurité depuis longtemps. ?
Elle fit une pause, cherchant à ma?triser les émotions qui montaient en elle.
? On a décidé de partir ensemble. On ne savait pas trop où aller, mais on a pensé que Paris était une bonne idée. Beaucoup de Survivants devaient s?rement s'y regrouper... Enfin, c'était notre hypothèse. Juste une idée pour donner un sens à notre marche. ?
Alan hocha la tête, l'encourageant à poursuivre.
? En chemin, on a croisé Michel et Bob. On approchait d'un village quand on les a entendus. Ils faisaient un bruit d'enfer. Pas avec une radio ou quelque chose d'électrique — rien de tout ?a ne fonctionne plus. Non, ils tapaient sur des casseroles, des bidons, tout ce qui faisait du bruit. On aurait dit une parade absurde. ?
Jennel eut un rire bref, presque amer.
? Rose et moi, on a pensé qu'ils étaient fous. Ou désespérément seuls. Peut-être les deux. Mais ils n'étaient pas dangereux. Michel, surtout, avait l'air d'un gars bien. Quand on leur a demandé ce qu'ils faisaient là, il nous a dit qu'ils cherchaient d'autres Survivants. Qu'ils voulaient éviter de rester seuls trop longtemps. ?
Elle haussa les épaules.
? Mais ils n'allaient pas à Paris. Michel avait une autre idée en tête. Il avait vu ce Phare, lui aussi. Vers le sud-est. Il était persuadé que c'était là qu'il fallait aller. Alors, ils nous ont proposé de venir avec eux. ?
? Et le froid... ?, reprit-elle après un moment. ? En février, quand je me suis retrouvée seule dans ma tente. Je pensais que j’allais mourir gelée. Chaque nuit, je me disais que je ne me réveillerais pas au matin. ?
Elle serra la main d’Alan légèrement, comme pour s’assurer qu’il était bien là, réel.
Mais elle parla aussi de la chance qu’elle avait eue de trouver d’autres Survivants, et du réconfort que cela lui avait apporté.
Ils restèrent un moment silencieux, chacun perdu dans ses souvenirs, avant qu’Alan ne dise d’une voix douce.
? ?a fait du bien d’en parler. ?
Jennel acquies?a lentement. ? Oui… ?a fait du bien. ?
Le soleil avait fini de se coucher, laissant place aux dernières lueurs du crépuscule. Une question apparemment anodine, mais qui semblait peser lourd dans l'esprit de Jennel, traversa alors le silence.
? Fais-tu des rêves bizarres, très réalistes ? ? demanda-t-elle doucement.
Alan haussa les sourcils, surpris par la question. ? Des cauchemars, souvent… hélas. ?
Jennel secoua la tête. ? Non. Je parle de rêves… très, très réalistes. Qui ne diffèrent pas de la réalité. ?
Alan plissa les yeux, cherchant à comprendre. Mais rien de ce qu’elle disait ne lui évoquait quoi que ce soit.
? Je ne vois pas ?, répondit-il honnêtement.
Jennel sembla hésiter, les mots lui venant difficilement. Elle avait du mal à avouer qu’elle en faisait. Elle baissa les yeux, triturant une petite branche entre ses doigts.
? J’en fais ?, finit-elle par dire. ? Certains sont peu nets… mais d’autres sont clairs. Aussi clairs que la réalité. ?
Alan inclina légèrement la tête, intrigué. ? Beaucoup ? ?
Jennel releva lentement les yeux vers lui. Il lui fallut quelques secondes pour répondre, comme si elle luttait contre l’envie de se taire.
? Presque toutes les nuits… depuis un mois. ?
Alan hésita un instant, l’envie de poser plus de questions se heurtant à une certaine retenue. Quelque chose dans le ton de Jennel indiquait qu’elle n’avait pas envie de s’étendre sur le sujet. Pourtant, il se risqua à demander :
? Tu sais ce que ?a pourrait signifier ? ?
Jennel haussa légèrement les épaules, une expression indéchiffrable passant sur son visage.
? Mon amie Rose est au courant ?, murmura-t-elle. ? Elle me dit que je devrais être plus ouverte aux autres, aux sentiments d’autrui… Mais je n’y arrive pas. C’est mon moyen de défense pour supporter tout ?a. ?
Son visage s’assombrit progressivement, devenant triste, douloureux, comme si elle portait le poids de souvenirs trop lourds. Alan sentit qu’elle luttait intérieurement pour ne pas se laisser submerger.
Puis, brusquement, son expression changea. Son regard se durcit, son visage se referma.
? Bonne nuit ?, lacha-t-elle d’un ton presque froid, avant de se lever précipitamment et de s’éloigner.
Alan la regarda partir, incapable de dire quoi que ce soit.
Le vent nocturne soufflait doucement, emportant avec lui les derniers éclats de lumière du jour disparu.
Le lendemain, alors que le camp s’éveillait doucement, Jennel retrouva Alan assis près du feu mourant. Il la vit approcher, mais il garda le silence, la laissant initier la conversation. Jennel s’assit en face de lui, le regard perdu dans les braises.
? Je voulais m'excuser… pour hier soir. ? Jennel s’interrompit, cherchant ses mots. ? Je suis partie trop vite.?
? Je me demande… ? Elle marqua une pause.
? Comment fais-tu pour parler de ces choses-là ? ?
Alan releva les yeux vers elle, surpris par la question. Il haussa légèrement les épaules.
? Ce n’est pas facile, tu l’as bien senti. Mais… ?a fait du bien. ?
? Moi, j’ai du mal ?, avoua-t-elle. ? Dès que je commence à parler de… tout ?a, je bloque. Je ne veux pas aller trop loin. Pas dans les détails. ?
? Je suis allée très loin avec toi. ?
Elle détourna les yeux, gênée.
? Je me dis que c’est égo?ste de parler de moi, de mon vécu. Comme si mes douleurs étaient plus importantes que celles des autres. Et puis, il y a cette culpabilité… Celle d’être encore là, alors que tant d’autres sont morts. ?
Alan hocha lentement la tête. Il comprenait parfaitement.
? La culpabilité du Survivant ?, murmura-t-il. ? C’est un poids que beaucoup portent. Mais tu sais… parler n’efface pas la douleur des autres. ?a t’aide simplement à vivre avec la tienne. ?
Jennel le regarda un instant, son visage indécis entre méfiance et reconnaissance.
? Rose m’a toujours dit que je devais apprendre à m’ouvrir?, reprit-elle doucement. ? Mais c’est… effrayant.?
Alan lui adressa un sourire réconfortant.
? On n’a pas besoin d’aller trop vite. Un pas après l’autre.?
Jennel baissa les yeux, triturant une mèche de cheveux.
Love this story? Find the genuine version on the author's preferred platform and support their work!
? Un pas après l’autre ?, répéta-t-elle, presque pour elle-même.
Quelques instants de silence.
Alan le rompit d’une voix calme, presque trop douce pour la tension qui flottait entre eux.
? Et l’amour ? ?
Jennel releva les yeux, surprise. Son expression vacilla entre la gêne et la confusion.
? L’amour ? ? répéta-t-elle, comme si elle n’avait pas bien entendu.
Alan hocha lentement la tête. ? Oui… L’amour. Est-ce que c’est quelque chose dont tu peux parler ? ?
Jennel détourna le regard.
? Je… Je ne sais pas ?, murmura-t-elle. ? Je n’ai pas le droit. ?
Alan fron?a légèrement les sourcils. ? Pas le droit ? Pourquoi ? ?
Jennel prit une longue inspiration, cherchant ses mots.
? Parce que… ? Elle s’interrompit, visiblement mal à l’aise. ? Parce que c’est égo?ste. Ce monde… ce qu’il est devenu… Je ne peux pas me permettre de penser à ?a. ?
Alan resta silencieux, lui laissant l’espace pour continuer.
? Je me dis que ce serait une trahison envers ceux qui ne sont plus là ?, ajouta-t-elle, la voix tremblante. ? Aimer quelqu’un, alors que tant d’autres sont morts… Est-ce que j’en ai le droit ? Est-ce que je peux me permettre de ressentir ?a ? ?
Elle passa une main dans ses cheveux, visiblement troublée.? Mais… le pourrais-je ? ? murmura-t-elle presque pour elle-même, le regard perdu à nouveau.
Alan tendit une main vers elle, fr?lant doucement la sienne.
? Ce n’est pas une question de droit ?, dit-il doucement. ? C’est une question de vie. ?? L’amour est une victoire sur l’ennemi. ?
Avant le départ du groupe, Michel s’approcha d’Alan, un air grave sur le visage. La lumière tamisée de l’aube dessinait des ombres profondes sur ses traits fatigués.
? Alan, un mot avant qu’on parte ? ? demanda-t-il d’une voix basse.
Alan hocha la tête et le suivit à l’écart des autres, là où les arbres formaient un cercle protecteur.
? J’ai besoin de ton aide ?, commen?a Michel sans détour. ? Tu es capable de percevoir les intentions des autres, n’est-ce pas ? Jennel m’a parlé de ce… don qu’elle partage. ?
Alan fron?a les sourcils, jetant un coup d’?il furtif vers le campement.
? C’est vrai. Mais pourquoi aurais-tu besoin du mien? ?
Michel croisa les bras, fixant Alan de son regard per?ant.
? Nous allons croiser d’autres Survivants. C’est inévitable. Et tous ne seront pas amicaux. Si tu peux nous alerter bien à l’avance, nous aurons une chance de réagir. ?
Alan resta silencieux un instant. L’idée de se retrouver en première ligne, à devoir évaluer les intentions de parfaits inconnus, ne l’enchantait pas. Mais il comprenait la nécessité.
? D’accord ?, finit-il par dire. ? Je ferai de mon mieux. ?
Michel esquissa un sourire fatigué.
? Merci. ?a peut faire la différence. ?
Alan observa le carnet posé sur les genoux de Michel. Les pages étaient couvertes de croquis complexes et de notes manuscrites. Des schémas de molécules, des équations. Michel suivit son regard et esquissa un sourire.
? Tu te demandes ce que je fais, n’est-ce pas ? ?
Alan haussa les épaules. ? J’essaie surtout de comprendre ce qui se passe autour de nous. Et tu as l’air d’avoir quelques réponses. ?
Michel ferma doucement son carnet. ? Des réponses, peut-être. Mais surtout des questions. Les nanites… ce ne sont pas de simples machines. Elles obéissent à une logique que nous ne comprenons pas encore. ?
? Tu étais scientifique ? ? demanda Alan.
? Ingénieur en biotechnologies. Je travaillais sur des nanomachines médicales avant… tout ?a. ? Michel fit un geste vague pour désigner le monde autour d’eux. ? Mais les nanites que nous voyons aujourd’hui ne sont pas les n?tres. Elles sont… bien au-delà de ce que nous étions capables de concevoir. ?
Alan fron?a les sourcils. ? Une autre technologie, alors ? ?
Michel acquies?a. ? Très probablement. Ces machines semblent capables d’évoluer, de s’adapter. Peut-être même qu’elles communiquent entre elles, comme un organisme vivant. ?
Il marqua une pause, fixant le feu qui crépitait faiblement.
? Et cette capacité à modifier les Survivants… ? Michel soupira. ? Cela dépasse tout ce que je peux imaginer. Pourquoi nous améliorer ? Pourquoi nous laisser vivre ? ?
Alan sentit un frisson lui parcourir l’échine. Les mots de Michel faisaient écho à ses propres pensées.
? Alors, tu n’as aucune hypothèse ? ? demanda-t-il.
Michel releva les yeux vers lui, son regard empli d’une fatigue infinie. ? Seulement des spéculations. Peut-être que nous sommes des expériences, des cobayes. Peut-être que nous servons un but qui nous échappe complètement. ?
Alan resta silencieux, méditant ces paroles. Il regarda autour de lui, observant les autres Survivants du camp. Tous portaient les mêmes signes de transformation : jeunesse retrouvée, vigueur nouvelle. Mais à quel prix ?
Michel reprit doucement, presque pour lui-même. ? Le vrai problème, Alan, c’est que nous ne savons pas si ces nanites ont un ma?tre… ou si elles sont devenues leur propre ma?tre. ?
Le groupe s'était mis en marche, avan?ant lentement sur une route bordée de collines. Alan marchait en silence, observant les autres membres du groupe avec attention. Il tenta d'engager quelques conversations, mais les réponses étaient brèves, méfiantes. Il avait encore du mal à s'intégrer.
C'est en apercevant Jennel marcher devant lui qu'il remarqua son boitement. Elle appuyait légèrement sur son pied droit à chaque pas, essayant visiblement de dissimuler une douleur.
Il accéléra le pas pour la rejoindre.
? Jennel, tu boites. Qu'est-ce qui t'arrive ? ?
Elle lui lan?a un regard furtif, visiblement agacée d'avoir été remarquée.
? Rien de grave. Juste une petite blessure. ?
Alan ne se laissa pas convaincre. ? Tu t’es blessée où ? ?
Jennel soupira. ? En me lavant dans le ruisseau, j’ai glissé sur une pierre. Ce n’est rien. Les nanites s’en occuperont. ?
Alan fron?a les sourcils. ? Peut-être, mais si on soigne la blessure maintenant, elle guérira encore plus vite. Tu veux vraiment marcher en boitant toute la journée ? ?
Jennel tenta de se dérober. ? Je t’ai dit que ce n’est rien, Alan. ?a va passer. ?
Il posa une main ferme mais douce sur son bras. ? Laisse-moi jeter un ?il. J’ai une petite pharmacie avec moi. Si on nettoie correctement, tu seras sur pied en quelques heures. ?
Jennel hésita, les lèvres pincées. Elle détestait être le centre d’attention, encore moins se sentir vulnérable.
C’est à ce moment qu’elle intervint.
? Bonjour, je m’appelle Rose. ?, dit une petite femme un peu rondelette au visage souriant,
? Il a raison, Jennel. Laisse-le t’aider. Si ?a s’infecte, tu seras dans un bien pire état. ?
Sous le regard insistant de Rose, Jennel finit par céder.
? D'accord. Mais fais vite. ?
Alan sortit son kit de soins et s’agenouilla devant elle. La blessure n’était pas profonde, mais une coupure nette sur le talon nécessitait un nettoyage. Il appliqua une pommade antiseptique avant de bander le pied avec soin.
? Voilà. Maintenant, tu montes sur le chariot. ?
Jennel protesta. ? Hors de question ! Je peux marcher. ?
Rose posa une main sur son épaule. ? Monte. On a besoin que tu sois en forme, pas épuisée. ?
Alan tendit une main pour l’aider à grimper sur le chariot. Jennel grogna, mais elle accepta finalement.
Il la regarda s’installer, un sourire discret sur les lèvres.
? Merci ?, murmura-t-elle.
Alan hocha simplement la tête. ? C’est normal. ?
Alors qu’Alan ajustait le chariot pour que Jennel soit plus à l’aise, Rose s’approcha.
? Elle va bien ? ? demanda-t-elle en baissant la voix pour ne pas être entendue par Jennel.
Alan hocha la tête. ? ?a ira. La blessure est superficielle. ?
Rose l’observa un instant en silence, avant de poursuivre :
? Tu sais… Jennel et moi, on se conna?t depuis un moment.?
? Je sais. Elle m’a tout raconté. ?
? Elle va bien ? ? reprit-il après un moment. ? Enfin… pas seulement physiquement. ?
Rose baissa les yeux. ? Jennel est forte. Mais elle garde tout en elle. Elle a ces rêves… bizarres, comme elle dit. Parfois, ils la perturbent vraiment. ?
Alan plissa les yeux. ? Elle m’en a parlé. Des rêves très réalistes. ?
Rose acquies?a. ? Oui. Elle essaie de les ignorer, mais ils la hantent. Et ?a, je ne peux pas l’aider. ?
Un silence s’installa, seulement perturbé par le bruit des pas du groupe sur la route.
Puis Rose leva les yeux vers Alan, son regard curieux.
? Et toi, qu’est-ce que tu penses d’elle ? ?
Alan sentit son c?ur accélérer légèrement. Il détourna brièvement le regard, cherchant une réponse qui ne trahirait pas trop ses émotions. Mais il savait que ses yeux avaient déjà parlé pour lui.
Rose sourit doucement. ? Je vois. ?
Alan ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Rose leva une main pour l’arrêter.
? Pas besoin de parler. Bonne chance. ?
Alan esquissa un sourire timide. ? Merci, je crois que j’en aurai besoin. ?
Rose recula d’un pas, puis changea brusquement de sujet.
? Tu veux m’accompagner au village pour les provisions ? On doit trouver de quoi tenir encore quelques jours. ?
Alan hésita. ? Le village ? ?
? Oui. Il n’est pas très loin. Mais on n’est jamais trop prudents. Ce serait bien d’avoir un éclaireur avec nous. ?
Après un court moment de réflexion, Alan hocha la tête.
? D’accord. J’arrive. ?
Rose désigna deux chariots à main rudimentaires. Ils étaient construits à partir de vieilles planches et de roues récupérées sur des vélos. Ils avaient l’air solides, mais leur poids serait un problème sur les routes accidentées.
? Pas le choix ?, expliqua Rose en voyant le regard interrogateur d’Alan. ? Les moteurs ne fonctionnent plus. Tout ce qui est électrique a cessé de marcher depuis la Vague. Et les animaux… il n’en reste plus beaucoup. ?
Elle fit une pause, balayant du regard le petit groupe qui s’était rassemblé autour des chariots.
? Il faut faire attention à l’itinéraire. Le profil des routes est un cauchemar pour pousser ces chariots. On doit éviter les pentes raides. ?
Alan observa la carte que Rose dépliait sur une souche d’arbre. Elle avait entouré quelques batiments d’un cercle rouge.
? On cible surtout les petits magasins et les entrep?ts secondaires. Les grands supermarchés sont rares par ici. ?
Elle tra?a du doigt une ligne entre deux villages. ? Ici, il y a une quincaillerie. Et là, un vieux dép?t agricole. Avec un peu de chance, on trouvera des choses utiles. ?
Alan hocha la tête, impressionné par l’organisation de Rose.
? ?a doit être difficile, sans savoir ce qu’on va trouver. ?
Rose esquissa un sourire triste. ? C’est toujours difficile. Mais on n’a pas le choix. Chaque sortie est un pari. ?
Elle releva les yeux vers lui. ? Allez, viens. Plus vite on part, plus vite on revient. ?
Alan prit une profonde inspiration et saisit les poignées d’un chariot. Le bois grin?a légèrement sous la pression. La route serait longue et les difficultés nombreuses, mais au moins, ils étaient prêts.
Ils étaient encore à une bonne distance du village lorsqu’Alan sentit un Spectre appara?tre à la périphérie de sa perception. Des lueurs différentes qui vacillaient, portées par une intention sourde. Ce n’était pas la première fois qu’il captait une telle présence, mais il se crispa légèrement, ses sens en alerte. Habituellement, il l’évitait.
? Tout va bien ? ? demanda Rose, remarquant son changement d’attitude.
Alan acquies?a, mais resta silencieux. Il ne voulait pas l’inquiéter inutilement, mais quelque chose n’allait pas. Cette présence… elle bougeait lentement, les suivant à distance.
Lorsqu’ils atteignirent enfin le village, le Spectre devint plus fort. Alan ralentit le pas, jetant des coups d’?il furtifs aux alentours. Il parvenait désormais à le localiser parfaitement. Les fa?ades décrépies semblaient les observer silencieusement.
Rose consultait la carte tandis qu’Alan scrutait désormais une direction bien précise.
? Rien de marqué ici ?, dit-elle en fron?ant les sourcils.
Alan plissa les yeux en direction de l’église. Derrière le clocher, légèrement en retrait, il aper?ut une supérette dont l’enseigne pendait lamentablement.
? Là-bas ?, indiqua-t-il.
Le groupe avan?ait prudemment vers le batiment. L’air était lourd d’une odeur putride, et ils découvrirent rapidement pourquoi. Sur le parking de la supérette, des dizaines de cadavres étaient empilés les uns sur les autres, leurs corps tordus dans des postures grotesques.
Alan se dirigea instinctivement vers l’église. La porte était entrebaillée. Il poussa doucement le battant, qui s’ouvrit dans un grincement sinistre.
? Ils viennent de l’église ?, cria Alan.
Rose couvrit son nez avec un morceau de tissu. ? Pourquoi les sortir de là ? Pourquoi les empiler ici ? ?
à l’intérieur, le silence était total. Pas de cadavres sur les bancs, pas de traces de luttes. Mais en s’approchant de l’autel, Alan se figea.
Deux corps, allongés c?te à c?te, étaient étendus sur le marbre froid. Un homme et une femme. Leurs visages portaient encore les traces d’une agonie récente.
Rose le rejoignit à son tour, les yeux écarquillés.
? Ils sont morts depuis peu ?, murmura-t-elle. ? Ce ne sont pas des victimes de la Vague. ?
Alan scruta la scène, les sourcils froncés. Quelque chose de sinistre prenait forme.
Depuis leur arrivée au village, il ressentait cette présence de plus en plus nette. Quelqu’un s’approchait, r?dant dans l’ombre.
? On n’est pas seuls ?, dit-il d’une voix forte.
Rose releva la tête, le regard soudain alerté.
? Qui ? ?
Alan ne répondit pas tout de suite. Il se concentra, laissant son don capter les émotions environnantes. Une vague d’hostilité lui parvint, confirmant ses craintes.
? Quelqu’un qui a déjà tué ?, finit-il par dire. ? Et qui s’apprête à recommencer. ?
Alan jeta un dernier regard aux deux cadavres sur l’autel, la machoire serrée. Et s’il y avait eu Jennel parmi eux ? Une froide détermination s’empara de lui. Il sortit lentement son pistolet automatique, vérifiant le chargeur d’un geste précis.
? Il approche. ?
Il se tourna vers les trois personnes armées du groupe — un homme barbu nommé Yann, un grand type mince appelé Marc, et une femme aux cheveux courts, Nina.
? Yann, prends position derrière le muret près de l’église. Marc, cache-toi derrière la fontaine. Nina, dans la ruelle à droite. Ne bougez pas tant que je ne donne pas le signal. ?
Tous trois acquiescèrent sans un mot, le visage grave.
Alan se tourna vers Rose.
? Toi et les autres, restez dans l’église. Ne sortez sous aucun prétexte. ?
Rose voulut protester, mais Alan planta son regard dans le sien. Elle comprit.
Il se pla?a au milieu de la place, exposé. Le silence pesait lourd, seulement troublé par le vent qui faisait claquer quelques volets.
Le temps sembla s’étirer.
Enfin, un homme apparut au bout de la rue, marchant d'un pas lent mais assuré. Il tenait un fusil de chasse négligemment posé sur son épaule. En voyant Alan seul au milieu de la place, il sourit, d'un sourire froid et moqueur.
? T’es qui, toi ? ? demanda l’homme.
? Juste quelqu’un qui cherche des réponses, ? répondit Alan calmement.
L’homme haussa un sourcil, visiblement amusé.
? Des réponses ? Ici ? Y a que la mort qui attend ceux qui tra?nent trop longtemps dehors. ?
Alan ne bougea pas, mais il observait attentivement le Spectre de l’homme. Une teinte rougeatre pulsait autour de lui, signalant une agressivité croissante. Pourtant, l’homme ne semblait pas pressé de tirer. Il avan?ait lentement, scrutant Alan comme un prédateur jauge sa proie.
? Si tu veux mon avis, continua l’homme, t’as fait une belle erreur en venant ici tout seul. T’as un flingue, j’imagine ? ?
Alan hocha légèrement la tête.
? Et toi ? Tu vas utiliser le tien ? ?
L’homme éclata d’un rire rauque.
? Peut-être bien. Mais j’préfère discuter un peu avant. T’as pas l’air d’un abruti, alors dis-moi... pourquoi t’es vraiment là ? ?
? J’ai entendu parler d’un regroupement dans cette zone. Des Survivants. Je cherche à comprendre ce qu’il reste du monde. ?
L’homme s’arrêta, son sourire s’effa?ant lentement.
? Y a rien à comprendre. Le monde est mort. Tout ce qui reste, c’est nous, les débris. Tu devrais rentrer chez toi, si t’en as encore un. ?
Alan sentit la tension monter. Le fusil de l’homme glissa légèrement de son épaule.
? Tu comptes me laisser partir ? ? demanda Alan.
L’homme haussa les épaules.
? Peut-être. Ou peut-être pas. Tout dépend de toi. ?
Il leva lentement son fusil, mais Alan fut plus rapide. Le coup partit et toucha l’homme à l’épaule. Il recula en grognant de douleur, lachant son fusil.
Alan avan?a prudemment, son arme toujours levée.
? C’est fini, ? dit-il.
Mais l’homme n’abandonna pas. Malgré sa blessure, il se redressa, le visage tordu de douleur, et se jeta sur Alan, brandissant une lame courte qui surgit de sa manche. Alan tenta de l’éviter, mais l’homme était rapide, et la lame effleura son bras.
Grima?ant, Alan tira de nouveau, touchant l’homme au torse. Cette fois, il tomba lourdement au sol, respirant avec difficulté.
? Pourquoi... ? murmura l’homme, le regard trouble.
Alan baissa son arme, le souffle court.
? Parce que je n’ai pas le choix. ?
L’homme ferma les yeux pour ne plus les rouvrir.
Alan resta immobile un instant, reprenant son souffle. La tension retombait, mais une étrange sensation d’inconfort subsistait. Il n’avait pas aimé tuer, mais il n’avait pas hésité non plus.
Yann, Marc et Nina sortirent de leurs cachettes, les visages marqués par une certaine admiration mêlée d’inquiétude. Rose arriva en dernier, le visage pale mais déterminé.
? ?a va ? ? demanda-t-elle.
Alan hocha la tête.
? Oui... ?a va. ?