Le lendemain, dès l’aube, le port des pirates bouillonnait d’une activité frénétique. Les cris des matelots se mêlaient au grincement des poulies et au fracas des caisses chargées dans les cales. Les voiles immaculées frémissaient sous la brise matinale, prêtes à se gonfler pour emporter le navire loin de cette ?le dangereuse et fascinante. Le bois du pont, fra?chement nettoyé, luisait sous la lumière douce du matin, comme si le navire lui-même respirait, impatient de reprendre la mer. L’air était chargé d’une énergie électrique, celle du départ, de l’inconnu, et peut-être même de l’inévitable.
Mero se tenait près de la passerelle, scrutant la scène avec une certaine appréhension. L’excitation de reprendre la mer se mêlait à une étrange mélancolie. L’air salin, habituellement vivifiant, semblait aujourd’hui alourdi par des pensées confuses. L’image de la fille aux cheveux noirs, son sourire énigmatique et son regard per?ant, flottait encore dans son esprit. Elle n’avait jamais donné son nom. Ce mystère le hantait plus qu’il ne voulait l’admettre. Qui était-elle vraiment ? Pourquoi ce baiser volé, cette connexion étrange ? Et surtout, pourquoi n’avait-elle jamais révélé son identité ? Ces questions tournaient en boucle dans son esprit, comme une mélodie obsédante qu’il ne parvenait pas à chasser.
Le Seigneur Pirate descendit lentement les marches menant au quai principal. Sa silhouette imposante commandait le respect, et les conversations autour de lui s’éteignirent progressivement. Les pirates se figèrent, silencieux, formant une haie d’honneur improvisée pour le départ du navire impérial. Le vieil homme s’approcha de Mero, son regard per?ant et légèrement moqueur.
— ? Je vois que vous êtes prêt à reprendre la mer, ? déclara-t-il d’une voix grave, empreinte d’une bienveillance ambigu?.
Mero hocha la tête, essayant de masquer son trouble. Le Seigneur Pirate observa le jeune prince avec un sourire qui en disait long sur ses intentions.
— ? Un départ prometteur, jeune prince. Souvenez-vous, la mer est capricieuse, mais elle vous portera toujours si vous savez l’écouter. Et sachez que vous serez toujours le bienvenu ici. ?
Mero serra la main massive du pirate, sentant le poids symbolique de ce geste. Une part de lui se méfiait encore de cet homme, mais une autre ne pouvait ignorer le respect tacite qui s’était instauré entre eux.
— ? Merci, Seigneur Pirate, ? répondit-il simplement, tentant de garder une certaine réserve.
Le Seigneur Pirate se tourna légèrement, ses yeux plissés par une lueur malicieuse.
— ? Prenez soin de vous… et de vos fian?ailles, ? ajout a-t-il d’une voix grave avant de s’éloigner.
Mero fron?a les sourcils, déstabilisé par cette remarque. Il n’eut pas le temps d’interroger davantage le pirate, car Ma?tre Antonin s’approcha vivement.
— ? Allons, il est temps de lever l’ancre. Nous avons bien assez tra?né ici. ?
Le navire se détacha lentement du quai, emporté par les courants. Les voiles se tendirent sous le vent, et le port recula progressivement, jusqu’à devenir une simple tache indistincte à l’horizon. Pourtant, l’esprit de Mero restait fixé sur l’?le et ses mystères. Le souvenir de la fille ne cessait de le tourmenter.
La journée avan?a tandis que les marins retrouvaient leurs habitudes de mer. Le vent soufflait avec constance, propulsant le navire vers de nouvelles aventures. Mero tentait de se concentrer sur ses taches, mais une certaine agitation intérieure l’empêchait de trouver la paix. Fatigué, il décida de se retirer dans sa cabine pour échapper à l’agitation du pont. La pièce était simple mais confortable, avec un lit de bois massif et une petite table encombrée de cartes maritimes. Il referma la porte derrière lui, savourant enfin un peu de tranquillité.
Mais cette quiétude fut de courte durée.
Son regard se figea sur le lit.
La fille était là.
Allongée nonchalamment sur les draps, elle le regardait avec un sourire espiègle. Son visage était illuminé par la lueur dorée de la lampe à huile. Le pendentif qu’elle portait brillait doucement sur sa poitrine.
— ? Je ne voulais pas que tu m’échappes, ? déclara-t-elle d’une voix douce.
Le c?ur de Mero manqua un battement. Comment était-elle montée à bord ? Comment personne ne l’avait-il remarquée ?
— ? Qu’est-ce que… ? ? commen?a-t-il, la voix rauque de surprise.
Elle se redressa lentement, son regard toujours rivé sur lui.
— ? Tu ne m’as même pas dit ton nom, ? ajouta-t-elle avec un soup?on de reproche dans la voix.
Il cligna des yeux, tentant de reprendre ses esprits.
— ? Comment as-tu fait pour monter à bord ? C’est insensé ! Tu ne peux pas rester ici. ?
Elle éclata de rire, un son léger et cristallin qui semblait défier toute logique.
— ? Crois-tu vraiment que je me contente de suivre les règles ? Ce monde est bien plus vaste que tu ne l’imagines. Et si je suis ici, c’est parce que je l’ai choisi. ?
Il secoua la tête, partagé entre la colère et la fascination.
— ? Ce navire n’est pas un endroit pour toi. Tu ne sais pas dans quel danger tu te mets. ?
Elle s’approcha doucement, réduisant la distance entre eux.
— ? Peut-être que c’est toi qui ne sais pas dans quel monde tu te trouves, ? murmura-t-elle.
The author's content has been appropriated; report any instances of this story on Amazon.
Il recula légèrement, cherchant à maintenir une distance.
— ? Pourquoi moi ? ? demanda-t-il, sa voix chargée de confusion.
Elle le fixa avec une intensité déconcertante.
— ? Parce que tu es différent. ?
Mero sentit un frisson parcourir son échine.
— ? Et maintenant, que comptes-tu faire ? ? demanda-t-il, tentant de reprendre le contr?le de la situation.
— ? Rester avec toi. ?
Il ouvrit la bouche pour protester, mais les mots lui manquèrent. Une partie de lui savait que cette rencontre allait bouleverser son voyage, et peut-être même son destin. Pourtant, une autre part, plus insidieuse, était curieuse de voir où cette aventure inattendue le mènerait.
Mandarine se blottit contre Mero avec une tendresse inattendue, son souffle chaud effleurant sa peau tandis qu’elle murmurait doucement :
— ? Mandarine, comme le fruit. C’est mon nom de pirate. ?
Elle marqua une pause, laissant planer une aura de mystère autour de ses mots. Son regard, à la fois malicieux et sérieux, accrocha le sien avant qu’elle n’ajoutat :
— ? Mon vrai nom… tu le sauras quand nous serons mariés. ?
Ces paroles énigmatiques laissèrent Mero perplexe. Pourquoi ce secret ? Quel serment cachait ce voile d’anonymat ? Il sentait en elle une force brute, indomptable, aussi insaisissable que la mer elle-même. Ses doigts hésitèrent avant de se glisser dans les longues mèches soyeuses de la jeune fille.
— ? Je suis Mero, ? finit-il par dire, brisant le silence qui s’était installé.
Mandarine inclina la tête, un sourire mystérieux flottant sur ses lèvres comme si ce simple nom confirmait une vérité qu’elle connaissait déjà.
— ? Alors, Mero, tu vas devoir t’habituer à moi, ? prévint-elle doucement, presque en défi.
Il devina qu’elle n’était ni une passagère clandestine ni une simple invitée. Non, Mandarine était une tempête, un électron libre qui ne suivait aucune règle.
Elle l’entra?na sur le pont avec une assurance déconcertante. Chaque pas qu’elle faisait semblait résonner comme une déclaration d’indépendance. Son rire léger fendait l’air marin, attirant les regards des marins. Elle ne semblait pas se soucier des conventions ni des murmures à son sujet.
— ? Alors, Mero, tu es prêt à découvrir la vraie mer ? ? demanda-t-elle en désignant l’étendue infinie devant eux.
Il hocha la tête sans conviction. La mer lui semblait aujourd’hui plus vaste, plus indomptable qu’il ne l’avait jamais imaginée.
— ? Tu crois que tout est réglé, que tout a une place bien définie, hein ? Mais regarde autour de toi. ?
Elle ouvrit les bras dans un geste large, embrassant la mer et le ciel.
— ? Ici, les règles de ton empire n’existent pas. La mer ne fait pas de différence entre un prince et un pirate. ?
Mero la dévisagea, partagé entre fascination et frustration. Elle parlait avec une telle conviction qu’il sentait son propre monde vaciller.
— ? Et toi ? Tu veux m’apprendre quoi, au juste ? ? demanda-t-il, cherchant une prise dans cette conversation déstabilisante.
Elle éclata de rire, un son cristallin qui se perdit dans le vent.
— ? Je ne suis pas là pour t’enseigner quoi que ce soit. ?
Mandarine l’entra?na ensuite dans des recoins du navire qu’il n’avait jamais explorés. Elle parla aux marins dans un mélange de dialectes maritimes qu’il peinait à suivre, mais eux lui répondirent avec respect et complicité. Elle était chez elle ici, plus que lui ne l’avait jamais été.
Chaque geste, chaque mot de Mandarine semblait avoir sa place dans cet univers mouvant. Elle grimpa sur les cordages avec une aisance déconcertante, les cheveux fouettés par le vent, comme une reine des mers.
Mero la regarda, fasciné malgré lui. Elle n’était pas simplement une fille pirate. Elle était la mer incarnée, libre, imprévisible et pleine de mystères.
Le soir tomba doucement, teintant le ciel d’orange et de rose enveloppant le navire dans un voile d’ombres et de murmures aquatiques. Les voiles tendues au vent gémissaient doucement tandis que la coque fendait les vagues avec assurance. L’équipage se rassembla pour partager le repas, mais Mero resta à l’écart, le regard perdu dans l’horizon. Mandarine le rejoignit sans un mot, s’asseyant à ses c?tés.
— ? Tu penses encore à ton empire, n’est-ce pas ? ?
Il hocha la tête.
— ? C’est difficile de tout laisser derrière soi. ?
— ? Alors ne laisse rien derrière. Emporte tout avec toi. Mais n’oublie pas que tu es libre ici. ?
Ces mots résonnèrent en lui, défiant tout ce qu’on lui avait inculqué depuis sa naissance. La liberté… un concept abstrait pour un prince habitué aux protocoles et aux responsabilités.
— ? Pourquoi es-tu venue ? ? demanda-t-il soudain, cherchant des réponses à cette énigme qu’elle représentait.
Elle lui adressa un sourire énigmatique.
— ? Parce que je savais que tu avais besoin de moi, même si tu ne le savais pas encore. ?
Son regard se perdit dans les vagues, et Mero comprit qu’elle portait aussi ses propres fardeaux, des secrets qu’elle ne dévoilerait peut-être jamais.
— ? Et maintenant ? ?
— ? Maintenant, nous verrons où le vent nous mène. ?
La mer s’étendait devant eux, vaste et infinie, comme une promesse d’aventure et de découvertes. Mero savait que rien ne serait plus jamais pareil.
Avec Mandarine à ses c?tés, il entra dans un monde où les certitudes se brisaient comme des vagues contre la coque du navire, laissant place à une liberté qu’il n’avait jamais osé imaginer.
---
Le soir, Mero se retrouva seul avec Mandarine dans sa cabine. Une lampe à huile vacillait sur une étagère, projetant une lumière dansante sur les parois de bois poli de la cabine. Mero se tenait là, un peu hésitant, face à Mandarine, qui contemplait la mer par la fenêtre ouverte.
L’atmosphère semblait emplie d’une gravité inattendue. Le silence, chargé de significations implicites, pesait entre eux. Elle se retourna lentement, son expression grave contrastant avec son habituel sourire espiègle.
— ? Je préfère être claire, ? déclara-t-elle d’une voix ferme mais douce. ? Il n’y aura pas de choses d’adulte entre nous. Je dois préserver ma vertu pour notre mariage. ?
La déclaration, bien que solennelle, eut un effet de choc sur Mero. Le jeune homme, peu habitué à ce genre de discours, sentit son souffle légèrement coupé. Elle ajouta avec une sincérité désarmante :
— ? On peut faire un calin, mais cela ne doit pas aller plus loin. ?
Les mots tombèrent dans la pièce comme une enclume sur une planche de bois. Une vague de chaleur monta en lui, non pas sous l’effet de la tentation, mais sous celui de l’embarras et de la surprise.
Il chercha à comprendre si ce qu’elle venait de dire était une règle sacrée pour elle ou simplement une fa?on de poser une limite dans cet univers où les pirates semblaient défier toutes les conventions. Mandarine, pourtant, incarnait un étrange mélange de tradition et de liberté.
Mero, la gorge légèrement serrée, finit par acquiescer :
— ? Je comprends. ?
Il était sincère, bien que légèrement désar?onné. Il respectait cette frontière qu’elle venait de tracer avec autant de clarté qu’une capitaine tirant une ligne sur une carte maritime.
Mandarine parut soulagée par cette réponse. Un sourire doux effleura ses lèvres, et elle fit quelques pas vers lui, le regard plus apaisé.
— ? Ce n’est pas une question de confiance, ? reprit-elle avec gravité. ? Mais certaines choses doivent suivre un ordre. Et si tu veux comprendre ce monde, il faut accepter les traditions qui y existent. ?
Le jeune homme hocha lentement la tête. Il sentait, au-delà de ces mots simples, une invitation à respecter un équilibre invisible mais essentiel, même dans ce royaume flottant sans attaches ni frontières.
Elle se détourna un instant pour contempler l’étendue infinie de la mer, comme si celle-ci détenait les réponses à toutes ses interrogations. Puis elle revint vers lui, son sourire s’élargissant légèrement.
— ? Viens t’asseoir, ? dit-elle doucement.
Mero s’approcha et prit place à ses c?tés sur le lit. Le bois grin?a sous leur poids combiné. Un silence presque complice s’installa, bercé par le léger tangage du navire.
Leur proximité semblait naturelle, mais teintée d’une retenue respectueuse. Mandarine finit par briser le silence, son ton redevenant léger :
— ? Parlons un peu, si tu veux bien. ?
Et ainsi, la conversation s’engagea, fluide et sincère. Mandarine évoqua ses premières années à bord des navires pirates, des escales sur des ?les exotiques, des nuits à naviguer sous des ciels étoilés et des créatures marines aper?ues à l’aube. Chaque récit semblait porter l’écho d’une liberté sauvage et indomptable.
— ? J’ai toujours rêvé de découvrir ce qui se cache encore au-delà des cartes, ? confia-t-elle.
Mero, fasciné par ses récits, partagea à son tour des fragments de sa propre vie. Il parla de son enfance dans les vastes terres du royaume familial, de ses études, mais aussi de ce sentiment persistant d’être inutile, comme un rouage sans fonction dans la grande mécanique de sa famille.
— ? J’ai toujours eu l’impression que je devais prouver quelque chose, mais je n’ai jamais su quoi, ni à qui vraiment, ? avoua-t-il d’une voix plus basse.
Mandarine l’écouta avec attention, hochant la tête, comme si elle comprenait parfaitement ce poids invisible qu’il portait.
— ? Peut-être que tu n’as rien à prouver à personne, sauf à toi-même, ? murmura-t-elle.
Le silence reprit ses droits, mais cette fois il n’était ni lourd ni gênant. C’était une pause naturelle, une respiration entre deux ames qui apprenaient à se conna?tre.
La nuit avan?ait, et la fatigue finit par les rattraper. Mandarine, les paupières alourdies, se blottit instinctivement contre Mero.
— ? Bonne nuit, Mero, ? souffla-t-elle dans un murmure à peine audible.
— ? Bonne nuit, Mandarine, ? répondit-il doucement.
Le jeune homme sentit une étrange chaleur l’envahir, une chaleur qui n’avait rien de physique, mais tout à voir avec une connexion naissante, fragile mais précieuse.
Leur respiration se synchronisa peu à peu, bercée par le rythme apaisant du navire. Mero ferma les yeux, laissant ses pensées se dissoudre dans l’obscurité douce de la nuit.
Ce n’était pas une nuit marquée par des passions dévorantes ou des élans incontr?lables. Non, c’était une nuit de complicité, de respect, et d’une étrange sérénité qui semblait promettre quelque chose de bien plus profond.
Et tandis que les vagues continuaient de caresser la coque du navire, deux c?urs, issus de mondes si différents, trouvaient un fragile équilibre.