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Chapitre 4 : Cataxak, l’homme de l’ombre

  Odieuse puissance, objet de spoliation, tu e?manes des tre?fonds de cette i?le, et oses te refuser a? mes sens ? Mais je finirai, tortueuse cre?ature, par percer les secrets de ton a?me si de?licate ! En l’attente de ce jour de triomphe, je me permets d’admirer la magnificence de ces lieux. La salle du tro?ne d’Almenarc’h, immense ventre de pierre, s’e?panouit sous son do?me de cristal. La beaute? de ces baies suspendues n’est me?me pas alte?re?e par les rince?es de poudrin crache?es par les chutes d’Almen. Je dois me?me reconnai?tre qu’en ces gouttes captives le soleil mire ses reflets avec gra?ce. Il enchante par la? de ses jeux d’orbes tremblants les carreaux d’alba?tre que je foule pre?sentement de mes bottes en cuir fin de galuchat. La rencontre des e?le?ments, des hommes, et de leur Dieu. Me?me si ce dernier manque singulie?rement de pre?sence depuis quelque temps. Je prends pied sur l’encorbellement d’un escalier aux lignes simples et e?pure?es. Les hommes d’Almenarc’h semblent ignorer les beaute?s et raffinements subtils de leurs ance?tres ba?tisseurs. Qui emprunte encore ces galeries d’un autre a?ge pour gagner les terrasses hautes du palais ? Moi seul, homme de l’ombre et d’ailleurs. Je m’appuie au parapet et sens mes papilles s’affoler. Mirifique ! Je suis aux premie?res loges du spectacle !

  Mon regard embrasse toute la rade depuis ce promontoire. Pitonne?es au-dessus du lac aux e?tages infe?rieurs du quartier d’Arc’h, les voiles blanches des chasseurs de brume s’agitent dans les moiteurs de l’atmosphe?re. Elles capturent par le?gions d’infimes gouttelettes, sans se soucier du combat qui s’engage non loin de la?. L’eau, cette substance vitale aux e?tres infe?rieurs, doit couler sans rela?che au creux des conduites.

  Mais l’objet de mes de?lectations se porte quelques e?tages plus haut. L’assaillant, arme? de guenilles, s’e?crase comme vague sur roche contre une Garde d’Airain plus que torpide. Ces colosses de bronze attendent que leur paladin soit en mesure de mener l’assaut pour offrir la re?plique, laissant l’ennemi s’acharner sur leurs cuirasses rutilantes jusqu’a? l’e?puisement. Quelle exquise distraction je m’offre la? ! J’aurais du? retenir messire Roch Targe del Arc’h plus longtemps.

  L’orgueilleux chef de corps, comme re?pondant a? mes seules attentes, s’e?lance dans les airs. D’un cri, il met en branle son arme?e. Mirifique. Le mur de bronze avance contre les pillards, en colonnes par quatre. Deux colonnes au centre, pour donner la mort, apportant sur le front des troupes toujours frai?ches, et deux colonnes sur les ailes, pour l’e?vacuation en ordre des soldats e?prouve?s. Ine?luctable rotation. Mais le moment de savourer mon ge?nie devrait arriver. Il ne peut rester en arrie?re. Pas lui, pas l’homme rogue qui, quelques instants plus to?t, a porte? sur moi sa dernie?re insulte. La? ! Fide?le a? mes pre?dictions, il fend sa garnison pour jaillir a? sa te?te ! Il brille de ses parures guerrie?res, au sommet de sa gloire, volant a? sa mort par exce?s de confiance. Les hardes du nord reculent et se de?bandent devant sa coupable soif de sang. Mirifique !

  Mais je me redresse contre mon parapet. L’excitation fait perler quelques gouttelettes de transpiration a? la surface de ma peau. Je collecte bien vite le fruit de ces e?mois a? l’aide d’un petit mouchoir de Sawa, et retiens mon souffle. Le point d’orgue de mon orchestration se pre?sente. Une montagne de muscles et de pourpre de?borde les rangs de Talland’Ar. En un e?clair explose la violence sauvage du peuple banni. Roch virevolte, il esquive les coups sans me?me daigner sortir sa pre?cieuse gardienne. Quelle insolence ! Et voila? que, sans la moindre esquisse de feinte, il fige son action d’un geste mortel. Mon guerrier s’effondre. Remplace? par deux de mes plus grands champions. Les vainqueurs en duels singuliers de tous les fous de guerre de Saham. Le premier s’avance.

  — Allez... re?duis-moi ce vantard en pie?ces de viande ! Non, pas comme ceci ! Incapable !

  Je ferme les yeux et entre dans une lutte inte?rieure pour taire les mille et mille voix qui m’assaillent.

  — Suffit !

  Chaque combattant, chaque mai?tre d’armes inge?re? par me?garde au hasard de mes pe?re?grinations vient me confier a? l’oreille ses plus sages conseils. Plus haute, cette garde... plus profonde, cette attaque. L’esquive, en l’action, aurait e?te? pre?fe?rable a? cette parade...

  — Mais taisez-vous !

  Pardon ? Plai?t-il ? Se peut-il que le silence, enfin, me parvienne ? Je rouvre les yeux, en catastrophe. Aurais-je manque? l’apothe?ose de ce spectacle ?

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  L’aire de duel est vide. Mon champion tient a? bout de bras tout l’orgueil d’Almenarc’h, et le la?che dans le ne?ant. Le son des cornes de brume e?merge des galeries troglodytiques pendant que Roch Targe del Arc’h, le Grand Gardien, cre?ve les nuages bas de sa chute sans fin. J’espe?re que la mort laissera le temps a? ce pre?tentieux d’appre?cier l’e?tendue de son arrogance.

  Les surplombs deviennent alors le the?a?tre d’une cure?e des plus abominables. Les cuirasses d’airain enfoncent les lignes ennemies dans une charge d’honneur. Je ne peux re?primer un rire nerveux en voyant mon homme de main devancer la Garde, a? grands coups de taille, pour se me?nager une sortie vers les plateaux. Mais je dois vous laisser la?, mes petits, car de plus hautes distractions m ’a t t e n d e n t !

  — Roi Seigneur des Hommes, je vous annonce la mort du cauchemar de vos jours, l’auteur de vos nuits blanches, la le?gende guerrie?re qui faisait ombrage a? votre re?gne glorieux, ce rival de toujours, amant de votre tendre e?pouse, la reine Milena de la Hautecombe, fille d’Hurdall de Belcastel et de Dame...

  — ... Comment ? Que venez-vous de dire ?

  — Roi Seigneur des Hommes ? Le?gende guerrie?re ? Rival de toujours ?

  — Non ! Que voulez-vous dire par ? amant de votre tendre e?pouse ? ?

  — Roi Seigneur des Hommes, vous me raillez sans me?nagement... Je sais que vous ne pouvez ignorer une telle chose. Pas apre?s avoir e?pouse? de force sa promise. Vous...

  — Tre?ve d’impertinence ! Et cessez donc vos moulinets !

  — Roi Seigneur des Hommes... je suis votre bon vouloir.

  — Et sa de?pouille ? Je veux voir sa de?pouille ! Que l’on m’ame?ne sa de?pouille ! Je veux la fouler aux pieds ! Broyer chacun de ses os ! Arracher...

  — Roi Seigneur des Hommes, sans vouloir vous offenser, l’infortune? repose en cet instant dans les profondeurs abyssales du lac Almen...

  — Je veux e?tre certain de sa mort !

  — Roi Seigneur des Hommes, Calagalak, mon tueur sahame?en, est aussi su?r... que la nuit suit le jour. Roch n’a pas surve?cu a? ce duel.

  — Retrouvez-moi sa de?pouille. Et la bataille ? Je devais assister a? la bataille !

  — Roi Seigneur des Hommes, magnifique. Que dis-je ? mirifique ! Pardonnez a? votre humble serviteur la survenue de contretemps perturbateurs qui ont quelque peu... pre?cipite? le lancement des hostilite?s. Mais vos troupes se sont montre?es, Grand Sire, des plus valeureuses dans l’adversite? ! Et vous voila? de?barrasse?, d’un me?me jet, d’un rival mieux aime? que vous et d’un allie? galeux. Votre re?gne va ve?ritablement pouvoir commencer...

  — Cataxak, votre machination e?tait ambitieuse. Un peu retorse a? mon gou?t, mais, je dois le reconnai?tre, efficace. Je vais pouvoir envahir Talland’Ar, pre?textant des repre?sailles, et e?tendre ma main sur les terres du nord...

  Je laisse le roi a? ses re?ves e?piques, et quitte l’aile de ses appartements. Je regarde d’un ?il amuse? les frises mythologiques sculpte?es sur la lourde porte de bronze que deux gardes poussent devant moi. Elles figurent la cre?ation du monde par des e?tres de le?gende. Mais qui suis-je pour me laisser aller a? de telles re?cre?ations ? Croyances nai?ves ! Le jour viendra ou? je pourrai balayer ces fables sans fondement !

  Je surgis dans le silence de l’immense salle du tro?ne. Ce peuple arrogant s’imagine e?tre a? l’e?gal du no?tre, mais, devant l’E?ternel, nous seuls, e?lus de Saham, sommes dignes de porter le nom d’hommes ! Et savoir poser des pierres l’une sur l’autre ne change rien a? l’affaire ! L’architecture pa?le de ce palais n’est que le reflet de notre glorieux passe?.

  Je remonte la rampe qui s’e?lance vers le tro?ne, avec toute cette e?le?gance et cette le?ge?rete? qui me caracte?rise. Ce sie?ge de pierre blanche... Mais comment un objet use? par tant de vils fessiers peut-il attirer autant de convoitises ? La mienne est tout autre, et vogue en de plus nobles sphe?res. Au-dela? de cet escalier qui rec?oit ma sombre personne et qui s’enroule, imperceptible, autour du pilier central. Tant de pouvoir ba?ti sur un mensonge ! J’e?merge sur la courte plate-forme qui se tient perche?e en ces lieux, perdue a? trente pas du sol. Devant moi, dans l’ignorance des vulgaires, se jettent des passerelles de verre. Elles enjambent le vide, sous le couvert de la haute coupole, et me?nent l’imprudent a? la mort. Car en leur centre be?e un gouffre tout aussi intangible que cette sournoise matie?re. Le fou meurt, mais pas l’e?rudit.

  J’avance un pied au-dessus du vide et marche calmement vers la paroi naturelle de l’i?le tout contre laquelle ce palais est adosse?. La?, dans le grain de la pierre, se dissimule l’insondable chambre des Murs-Sourds. Le lieu qui n’a d’e?cho que l’oreille... des dieux. J’entre...

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