Un matin de primptemps dans l’école impériale de Mor, alors que le ciel gris pesait sur la cour comme une couverture de plomb, un coup discret retentit à la porte de la suite de Mero. Le son résonna dans la pièce. Mero avait fait changer la décoration durant l’Hivers. Les murs étaient tendus de soieries bleu profond, ornées de motifs de vagues et de coquillages brodés à l’argent, évoquant les rivages tumultueux de l’archipel. Une mosa?que de nacre et de corail, incrustée dans le sol, dessinait une carte stylisée des ?les, tandis qu’un lit à baldaquin drapé de lin azur tr?nait sous une fenêtre encadrée de bois flotté sculpté. Une odeur saline flottait dans l’air, mêlée au parfum subtil d’algues séchées br?lant dans une coupelle d’obsidienne sur la cheminée – un hommage aux traditions maritimes de son peuple.
Mero, assis à un bureau d’acajou poli où s’entassaient des parchemins et une plume d’albatros, releva la tête, intrigué. La porte s’ouvrit doucement, révélant la silhouette menue de la secrétaire de l’école, une femme aux cheveux grisonnants noués en un chignon strict, vêtue d’une robe sobre mais impeccablement taillée. Elle entra sans attendre d’invitation, ses pas feutrés glissant sur le tapis tissé de cordes marines. ? J’espère que vous n’allez pas oublier l’anniversaire de Mandarine cette année, ? lan?a-t-elle d’une voix sèche mais chargée d’intention, ses yeux per?ants le fixant par-dessus ses lunettes cerclées d’acier. ? Pas comme l’année dernière. ? Son regard, lourd et plein de sous-entendus, semblait porter le poids d’un reproche silencieux.
Mero sentit une chaleur monter à ses joues, un mélange de gêne et de culpabilité le traversant comme une vague soudaine. L’année précédente, absorbé par ses études et les intrigues de l’école, il avait négligé d’envoyer à temps un mot pour l’anniversaire de Mandarine – une omission qui lui revenait maintenant comme un écho amer. La secrétaire ne bougea pas, son expression immobile mais éloquente, comme si elle attendait une réponse qui prouverait qu’il avait retenu la le?on. ? Je n’oublierai pas cette année, ? dit-il enfin, for?ant un léger sourire pour masquer son embarras. ? Merci de me le rappeler. ?
Elle inclina la tête, un geste bref mais satisfait, avant de se retirer sans un mot de plus, laissant derrière elle une tension palpable. Mero posa sa plume, ses doigts tambourinant nerveusement sur le bois lisse du bureau. Le poids sur ses épaules s’alourdit – un mélange de devoir envers Mandarine, de souvenirs partagés et de doutes qui persistaient entre eux. L’anniversaire de la jeune pirate, un événement qui comptait autant pour elle que pour leur lien fragile, devenait soudain une épreuve. Que pouvait-il lui offrir cette fois-ci ? Comment montrer, malgré la distance et les incertitudes, qu’elle occupait encore une place dans son c?ur ? La mer de Sel semblait bien loin, et avec elle, les réponses faciles.
Assis dans sa suite, les yeux perdus sur la mosa?que scintillante qui évoquait les plages de son enfance, Mero passa la matinée à réfléchir. Il avait d’abord songé à un cadeau de l’archipel de Sable-Gris, une région voisine de Sel réputée pour ses artisans. Une dague au manche de corail noir, peut-être, ou un collier de perles rares pêchées dans les récifs profonds – des objets qui parleraient à l’ame audacieuse de Mandarine. Mais ses lettres aux marchands, envoyées des semaines plus t?t, étaient restées sans réponse, les tempêtes hivernales ayant retardé les navires. Le temps pressait, et avec chaque jour qui passait, l’angoisse montait comme une marée.
Ce fut la princesse Ki qui, par un heureux hasard, vint à son secours. Alors qu’il traversait le couloir des suites, il croisa la jeune femme devant sa propre chambre, un espace qui portait l’empreinte du royaume de Qit. Les murs étaient tendus de velours rouge sombre, brodés de motifs floraux dorés et de scènes de chasse enneigée, tandis que des panneaux de bois sombre, sculptés de volutes élégantes, encadraient une cheminée en marbre noir veiné d’or. Un lustre imposant, chargé de cristaux taillés, projetait une lumière froide sur un tapis d’Aubusson aux teintes de pourpre et de gris, et une odeur de cire d’abeille et de résine de pin flottait dans l’air, émanant d’un samovar en argent tr?nant sur une table laquée. Ki, vêtue d’une robe d’un vert profond aux manchettes bordées de fourrure d’hermine, l’accueillit avec un sourire doux, ses cheveux noirs relevés en un chignon orné d’une épingle d’ambre.
? Tu sembles préoccupé, Mero, ? dit-elle, son ton chaleureux contrastant avec la froideur solennelle de sa suite. Une légère vapeur s’échappait du samovar, ajoutant une touche de vie à l’atmosphère austère. ? Quelque chose te tracasse ? ?
Il hésita un instant, puis se confia, ses mots jaillissant comme une vague retenue trop longtemps. ? C’est bientot l’anniversaire de Mandarine, ? expliqua-t-il, frottant sa nuque d’un geste nerveux. ? J’ai raté celui de l’année dernière, et cette fois, je veux faire les choses bien. Mais je n’ai pas réussi à trouver ce que je voulais dans l’archipel de Sable-Gris. Les tempêtes… ? Il laissa sa phrase en suspens, un soupir lui échappant.
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Ki l’écouta attentivement, ses yeux sombres brillant d’une lueur réfléchie sous la lumière vacillante du lustre. Puis, son sourire s’élargit légèrement, une idée prenant forme. ? Dans mon pays, Qit, nous avons un animal unique, le Kuitkuit – nommé pour le petit ‘kuit-kuit’ qu’il fait quand il appelle dans les steppes gelées. Sa fourrure change avec la météo : elle devient blanche sous le soleil d’hiver et grise sous la pluie ou la neige fondante. Elle est incroyablement douce, presque comme la soie la plus fine. ? Elle marqua une pause, son regard pétillant d’enthousiasme. ? Mais il existe une variété rare, élevée dans les domaines de mon père, près des lacs gelés du nord. Sa fourrure est bleue quand le ciel est clair et vire au rose quand les nuages s’amoncellent. C’est un trésor de Qit, un symbole de la beauté qui persiste dans les hivers rudes. ?
Mero la fixa, captivé par la description. Une fourrure qui dansait avec le climat, un reflet des caprices du ciel nordique – c’était un cadeau à la fois rare et poétique, parfait pour Mandarine, dont le c?ur semblait aussi indomptable que les tempêtes de Sel. ? Tu crois qu’elle aimerait ?a ? ? demanda-t-il, une lueur d’espoir naissant dans sa voix.
Ki hocha la tête, son sourire empreint d’une assurance tranquille. ? Je suis s?re que Mandarine apprécierait un tel présent, surtout qu’il vient d’une lignée rare de notre terre. Cette fourrure n’est pas seulement douce – elle raconte une histoire, tout comme votre lien avec elle, qui change et résiste aux vents, n’est-ce pas ? ? Ses mots, simples mais profonds, touchèrent une corde sensible en lui, ravivant des souvenirs de nuits étoilées sur des plages lointaines, de rires partagés au milieu des vagues.
Elle proposa alors de l’aider à organiser l’acquisition de cette fourrure rare. ? Je peux écrire à mon père, ? dit-elle, déjà en train de réfléchir aux détails. ? Il enverra un échantillon. Avec un peu de chance, il arrivera à temps pour son anniversaire. ? Ensemble, ils passèrent l’après-midi à planifier dans sa suite. Ki griffonna une lettre sur un parchemin orné du sceau de Qit – un aigle à deux têtes en relief doré – tandis que Mero choisit une bo?te d’ébène sculptée dans sa propre chambre pour accueillir le cadeau, doublée de soie blanche pour mettre en valeur les teintes changeantes de la fourrure. L’envoi fut confié à un messager de l’école, un homme robuste vêtu d’une pelisse épaisse, avec la promesse d’une livraison rapide malgré les bourrasques hivernales qui balayaient Mor.
Lorsque tout fut arrangé, Mero se tourna vers Ki, un sourire sincère illuminant son visage fatigué. ? Merci, ? dit-il chaleureusement, sa voix portant une gratitude profonde. ? Sans toi, je serais encore perdu à chercher un cadeau qui ne viendrait jamais. ?
Ki lui rendit son sourire, ses yeux plissés par une joie simple sous la lueur froide du lustre. ? C’est un plaisir d’aider un ami, surtout pour une occasion aussi significative, ? répondit-elle, sa voix douce comme une brise glissant sur la neige. ? J’espère que Mandarine appréciera ce présent unique. Elle mérite quelque chose d’aussi spécial qu’elle. ? Elle tapota légèrement son bras, un geste amical qui scella leur complicité, avant de retourner à son samovar, laissant Mero seul avec ses pensées.
Debout près de la fenêtre de sa chambre, il regarda la neige tomber en tourbillons serrés, chaque flocon une seconde qui le rapprochait du jour fatidique. Un poids s’était levé de ses épaules, remplacé par une anticipation mêlée d’appréhension. La fourrure du Kuitkuit, avec ses teintes mouvantes, était plus qu’un cadeau – c’était un message, une tentative de raviver un lien qui vacillait sous le poids de la distance et des silences. Il imagina Mandarine ouvrant la bo?te, ses doigts fins effleurant la douceur changeante, un sourire – peut-être – naissant sur ses lèvres tannées par le sel. Mais une part de lui doutait encore. était-ce assez ? Pouvait-il réparer l’oubli de l’année passée avec une seule offrande, aussi rare soit-elle ?
Les jours suivants s’écoulèrent dans une attente fébrile. Mero passait ses matinées dans sa suite, à relire des lettres anciennes de Mandarine – des mots griffonnés à la hate sur du papier jauni, pleins de récits de pillages et de promesses vagues. Chaque ligne ravivait des images : son rire sur le pont d’un navire, ses yeux noirs brillant sous un ciel étoilé, la chaleur de sa main dans la sienne lors d’une nuit où la mer semblait leur appartenir. Mais ces souvenirs étaient teintés d’une amertume récente – les lettres s’étaient espacées, ses réponses à lui s’étaient faites plus rares, et l’oubli de son anniversaire l’année précédente pesait comme une ancre sur leur passé commun.
Un après-midi, alors qu’il traversait le couloir des suites, il passa devant celle de Sven, un espace qui évoquait l’?le tropicale de Fer. Les murs y étaient peints d’un rouge profond, ornés de motifs de feuilles de bananier et de plumes d’oiseaux exotiques, tandis qu’un lit sculpté de bois de palissandre tr?nait sous un dais de tissu doré. Une odeur de fruits m?rs et de bois br?lé flottait dans l’air, émanant d’un brasero en terre cuite. Sven, appuyé contre le chambranle, l’interpella d’un ton taquin. ? Toujours à rêvasser à ta pirate, Mero ? ? demanda-t-il, un sourcil levé.
Mero esquissa un sourire, hésitant à se confier. ? Je prépare quelque chose pour son anniversaire, ? admit-il enfin. ? Ki m’a aidé à trouver un cadeau – une fourrure rare de Qit. J’espère que ?a suffira. ?
Sven hocha la tête, une lueur d’approbation dans les yeux. ? C’est un bon choix, ? dit-il. ? Quelque chose d’unique, ?a montre que tu y as pensé. Elle verra l’effort, même si elle ne le dit pas tout haut. ? Il tapa l’épaule de Mero avec une camaraderie légère, un rappel silencieux qu’il n’était pas seul dans ses doutes.