Deux semaines s’étaient écoulées depuis le retour de Dorian et éléonore à l’école impériale de Mor, un retour marqué par le sceau indélébile de la tragédie qui avait frappé leur famille. Le batiement qu’ils partageaient avec Mero et Sven, réservée aux héritiers royaux, était un écrin de luxe où chaque détail proclamait leur rang. Les murs, tendus de tapisseries somptueuses aux fils d’or et d’argent, dépeignaient des scènes de triomphes anciens, leurs couleurs vibrantes dansant sous la lumière des lustres en cristal suspendus au plafond vo?té. Les meubles, sculptés dans un ébène rare incrusté de nacre et d’ivoire, scintillaient doucement, tandis qu’une cheminée massive en marbre blanc, ornée de motifs floraux délicats et de statuettes dorées, diffusait une chaleur constante dans l’air parfumé de bois de santal. Les fenêtres, drapées de velours pourpre brodé, encadraient une vue sur les jardins enneigés de Mor, leurs vitres serties de motifs floraux capturant les reflets argentés des flocons.
Mais malgré ce faste, une pesanteur invisible régnait. Dorian, autrefois rayonnant de vie, était devenu une ombre de lui-même. Ses sourires, jadis si naturels, étaient rares, éclipsés par un regard souvent perdu dans un horizon intérieur, ses yeux sombres reflétant une fatigue que nul repos ne semblait apaiser. éléonore, quant à elle, portait sa douleur avec une dignité silencieuse, une mélancolie discrète mais constante voilant son visage délicat. La perte de leur père, le roi Orval, avait creusé un vide que même le luxe de leur environnement ne pouvait combler, une blessure béante dans leurs c?urs princiers.
La princesse Ki, fidèle comme une étoile dans la nuit, s’était faite gardienne de leur réconfort. Dans la suite, elle organisait des moments de détente pour Dorian, emplissant l’espace de conversations légères et d’activités simples – une partie d’échecs sur un plateau d’onyx et d’ivoire, une tasse de thé parfumé au jasmin servi dans des porcelaines fines. Elle veillait sur lui avec une douceur inébranlable, ses gestes gracieux contrastant avec la lourdeur qui pesait sur ses épaules. Mais malgré ses efforts, Dorian semblait épuisé, ses regards s’égarant fréquemment vers les fenêtres, où le ciel gris de Mor semblait refléter l’incertitude de ses pensées.
Un après-midi, alors que des nuages lourds drapaient le parc de l’école d’un voile oppressant, Ki et Dorian s’assirent sous l’ombre d’un chêne ancestral, ses branches nues s’étendant comme des doigts squelettiques contre le ciel. Le sol, tapissé d’une fine couche de neige, crissait sous leurs pas, et l’air mordant portait une odeur de terre gelée. Ki, enveloppée dans une cape de laine blanche bordée de fourrure, parla doucement, sa voix un murmure apaisant dans le silence glacial. ? Dorian, il est normal que la peine prenne du temps pour s’estomper, ? dit-elle, ses yeux sombres brillant d’une compréhension profonde. ? Mais tu n’es pas seul. Nous sommes tous là pour toi, même si parfois les mots ne semblent pas suffisants. ?
Dorian, vêtu d’un manteau noir aux boutons d’argent terni, hocha la tête dans un effort pour retrouver une forme de normalité. Mais ses yeux restèrent fuyants, perdus dans un ailleurs qu’elle ne pouvait atteindre. ? Parfois, je me demande si cela ne sera jamais plus facile… ? murmura-t-il, sa voix rauque marquée par une fatigue émotionnelle qui semblait le consumer. Ses doigts jouaient distraitement avec une brindille gelée, la brisant en morceaux minuscules comme s’il cherchait à disperser sa douleur.
Ki lui offrit un sourire doux, une lueur d’espoir dans son expression délicate. ? Tu sais, parfois, c’est dans les moments de silence, de calme, qu’on trouve ce qui nous manque, ? répondit-elle, ses mots soigneusement choisis comme une main tendue dans l’obscurité. ? Cela peut prendre du temps, mais tu finiras par voir la lumière à travers les nuages. Il faut juste ne pas perdre espoir. ? Elle posa une main légère sur son bras, un geste discret mais chargé de réconfort, tandis que le vent faisait danser les flocons autour d’eux.
Pendant ce temps, éléonore se tenait à l’écart, souvent seule dans sa suite ou dans les couloirs richement décorés de l’école. Elle portait la même peine que son frère, mais la cachait sous une fa?ade sto?que, se réfugiant dans ses études et ses taches quotidiennes. Assise à un bureau d’acajou incrusté d’or, elle noircissait des parchemins avec une précision mécanique, ses plumes d’oie glissant sur le papier dans un silence rythmé. Mais parfois, un éclat de tristesse traversait son visage – un tremblement fugace de ses lèvres, un regard perdu dans le vide – révélant la douleur tapie.
Les deux semaines qui suivirent furent un ballet subtil de tentatives de guérison et de blessures invisibles. Ki, malgré sa patience infinie, comprenait que Dorian et éléonore devraient tracer leur propre chemin vers la lumière, mais elle persistait à les entourer, une présence ferme et discrète dans leur tempête intérieure.
Un soir, alors que la suite baignait dans la lueur dorée des chandelles, Mero s’approcha de Sven, qui observait éléonore depuis un fauteuil capitonné de velours émeraude. Elle se tenait près de la cheminée, une lettre à la main, son visage éclairé par les flammes vacillantes. Mero, ajustant sa tunique brodée d’argent, murmura à Sven : ? Tu devrais soutenir éléonore, si tu tiens à elle. ?
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Sven prit un instant pour réfléchir, son regard se posant sur éléonore avec une intensité nouvelle. Elle semblait forte, drapée dans une robe sombre aux manches ornées de perles, mais ses épaules légèrement vo?tées trahissaient le poids qu’elle portait. Il resta silencieux un moment, une lueur de réflexion dans ses yeux noisette, avant de répondre. ? Tu as raison, ? dit-il, sa voix basse mais empreinte d’une gravité inhabituelle. ? éléonore… elle a toujours été forte, mais je sens qu’elle porte un fardeau immense. Je suis s?r qu’elle préfère le garder pour elle, mais ?a ne veut pas dire qu’elle n’a pas besoin de soutien. ?
Il tourna lentement la tête vers Mero, cherchant une confirmation dans ses mots. ? Mais tu sais, ce n’est pas facile de trouver la bonne manière d’être là pour elle, ? ajouta-t-il, un soupir léger lui échappant. ? Elle a cette fa?ade… cette distance. J’ai du mal à savoir ce qu’elle ressent vraiment. ? Ses doigts tapotèrent nerveusement l’accoudoir du fauteuil, le cuir grin?ant sous la pression, révélant son incertitude face à ce défi émotionnel.
Mero posa une main rassurante sur son épaule, son regard ferme mais amical. ? Elle ne te repoussera pas si tu essaies, ? dit-il. ? Pas si elle voit que tu es sincère. ? Sven hocha la tête, une résolution intérieure semblant se forger dans son esprit. ? Je ferai de mon mieux, ? conclut-il, une détermination nouvelle dans sa voix. ? Si elle a besoin de quelqu’un, je serai là. Ce n’est pas facile, mais c’est la bonne chose à faire. ? Ses yeux suivirent éléonore alors qu’elle rangeait la lettre dans une bo?te d’ébène, et il se leva, prêt à franchir la distance qui les séparait, même si chaque pas semblait un pari dans l’inconnu.
Mero aussi s’effor?ait de remonter le moral de Dorian et éléonore, conscient que le temps seul ne suffirait pas à panser leurs plaies. Dans la salle à manger il les invitait parfois à partager des moments simples. Les murs, tendus de soie cramoisie et ornés de fresques délicates de festins mythiques, scintillaient sous les chandeliers de cristal, leurs prismes projetant des éclats de lumière sur le marbre poli du sol. Les tables rondes, drapées de nappes damassées blanches, étaient dressées avec des couverts en argent massif et des verres en cristal taillé, tandis que des serveurs en livrée sombre glissaient avec une grace silencieuse, portant des plateaux d’argent chargés de mets raffinés. Un quatuor à cordes jouait une mélodie douce dans un coin, ses notes flottant dans l’air comme une caresse.
Un soir, Mero fit servir un plateau de patisseries – des éclairs au chocolat, des macarons aux couleurs pastel, des tartelettes aux fruits rouges – dans l’espoir d’arracher un sourire à Dorian. Assis près d’une cheminée sculptée où dansaient des flammes parfumées au cèdre, il tendit une assiette à son ami. ? Il leur faut encore un peu de temps, ? murmura-t-il à Sven, qui observait la scène depuis une chaise brodée d’or. ? Mais je veux croire qu’on peut les aider à retrouver un peu de lumière. ?
Dorian prit un macaron, ses doigts hésitants, et esquissa un sourire pale. ? Merci, Mero, ? dit-il, sa voix encore teintée d’une lassitude profonde. éléonore, assise à c?té, accepta une tartelette avec un hochement de tête poli, ses yeux s’adoucissant légèrement. Ce n’était pas une guérison complète, mais un pas fragile vers la normalité, un éclat de vie dans leurs ombres.
Un mois plus tard, les cicatrices commencèrent enfin à se refermer, doucement, comme des fleurs s’ouvrant après un long hiver. L’atmosphère s’allégea peu à peu. Dorian, bien qu’encore réservé, reprenait ses études avec une concentration nouvelle, ses plumes d’oie grattant le parchemin sous la lueur des chandelles. Ses sourires restaient rares, mais ils étaient plus sincères, portés par une lueur ténue dans ses yeux sombres. éléonore, moins distante, se montrait plus ouverte, participant aux discussions avec une présence discrète mais réelle. Elle acceptait les petites attentions – un livre prêté par Mero, une tasse de thé offerte par Ki – avec une gratitude muette, sa fa?ade sto?que s’effritant pour révéler une douceur retrouvée.
La princesse Ki, toujours attentive, avait tissé un filet de lumière dans leur quotidien. Dans le parc, elle organisait des promenades sous les arbres enneigés, ses paroles légères comme des flocons apaisant les silences lourds de Dorian. ? Regarde les branches, ? lui dit-elle un jour, pointant un chêne couvert de givre scintillant. ? Même sous le froid, elles brillent encore. Tu brilleras aussi, à ton rythme. ? Dorian hocha la tête, un sourire fragile naissant sur ses lèvres, un signe que ses mots trouvaient un écho.
Sven, fidèle à sa promesse, avait trouvé un équilibre avec éléonore. Il ne la pressait pas, mais se tenait à ses c?tés – une présence discrète lors des repas dans la salle à manger, un mot d’encouragement lorsqu’elle semblait fléchir. Leur relation, forgée dans la douleur partagée, s’approfondissait en une complicité silencieuse, un lien tissé de regards entendus et de gestes simples. Un soir, alors qu’ils partageaient une table près de la cheminée, il lui tendit une serviette brodée avec un sourire taquin. ? Tu as du chocolat sur le menton, ? dit-il doucement. éléonore rougit légèrement, un rire étouffé lui échappant – un son rare et précieux, comme une perle dans l’obscurité.
Mero, observant ces progrès, sentit lui aussi une paix s’installer dans son propre c?ur. La tension qui l’avait rongé – le poids de leurs peines, ses propres doutes – s’apaisait, dissoute par les liens qu’ils avaient tissés dans l’adversité. Les soirées dans la suite princière, bercées par le crépitement du feu et le parfum des chandelles, devinrent des havres de réconfort. Les journées dans la salle à manger, sous les fresques et les chandeliers, reprirent un éclat de normalité, les plats raffinés accompagnés de rires timides mais sincères.
Le temps, aidé par la solidarité, portait ses fruits. Les blessures ne s’effa?aient pas complètement – une ombre persistait dans les yeux de Dorian, une retenue dans les gestes d’éléonore – mais une forme de sérénité s’installait, fragile mais réelle. Dans cet écrin de luxe, parmi les tapisseries et les cristaux, ils apprenaient à guérir, pas à pas, sous le regard bienveillant de ceux qui refusaient de les laisser tomber.