Une sensation étrange le traversa soudain, un frisson qui le tira de sa torpeur. Une main légère effleurait son visage, un contact doux mais inattendu, comme une plume glissant sur sa joue. Son c?ur s’emballa, et il se redressa d’un bond, les draps azur du lit à baldaquin glissant autour de lui.
? Mandarine ? Quoi ? ? balbutia-t-il, ses yeux s’écarquillant alors que la réalité per?ait le brouillard de son esprit.
Assise sur le bord de son lit, Mandarine lui offrit un sourire doux, un éclat espiègle dansant dans ses yeux noirs, profonds comme une mer sous la lumière lunaire. Ses cheveux, ébouriffés par un voyage qu’il ne pouvait qu’imaginer, retombaient en mèches désordonnées sur ses épaules, captant la lumière dans des reflets d’obsidienne. Sa tunique légère, un tissu gris-bleu légèrement froissé, portait encore l’odeur saline et boisée d’une vie en mer – un mélange de sel, de bois humide et d’embruns qui semblait la suivre comme une aura. Elle l’observait avec une malice amusée, ses doigts jouant distraitement avec un coin du drap, les ongles courts et ab?més par des années de cordages et de tempêtes.
? Oui, c’est moi, ? dit-elle d’une voix calme, presque chantante, teintée d’un accent roulant qui évoquait les vagues de son ?le natale, un rythme fluide et sauvage. ? Tu sembles bien fatigué, Mero. Tu n’as même pas remarqué que je t’avais rejoint ici. ?
Mero cligna des yeux, encore désorienté, son esprit luttant pour assembler les pièces du puzzle. La sensation de cette main sur sa joue prenait soudain sens, mais une question persistait, tournoyant dans son crane encore embrumé par l’épuisement. Comment avait-elle pu entrer sans qu’il s’en rende compte ? Les fenêtres étaient ouvertes, laissant entrer la brise et les parfums du jardin, mais la porte de sa suite, verrouillée la veille avant qu’il ne s’effondre sur son lit, n’avait pas bougé. était-elle passée par les toits, escaladant les murs de pierre blonde de l’école impériale de Mor avec l’agilité d’une ombre pirate ? Avait-elle crocheté la serrure avec une de ces astuces qu’elle ma?trisait si bien ? Ou connaissait-elle des passages secrets dans ces vieux batiments, des chemins oubliés qu’elle avait découverts lors de sa dernière visite ? L’idée le fit presque sourire, malgré la confusion qui embrouillait encore ses pensées et le poids de la fatigue qui alourdissait ses paupières.
Elle inclina la tête, ses cheveux glissant sur son épaule comme une cascade sombre, son regard pétillant d’amusement face à son silence perplexe. Mais une tendresse subtile adoucissait ses traits, un éclat chaleureux dans ses yeux qui contrastait avec son air taquin. ? Tu dors comme une ancre au fond de l’océan, tu sais, ? ajouta-t-elle, un rire léger ponctuant ses mots, un son joyeux qui résonna dans la pièce comme une vague s’écrasant sur le rivage.
Mandarine détourna un instant les yeux, fixant ses mains posées sur ses genoux. Ses doigts, marqués par des années de cordages et de sel, étaient calleux et légèrement crevassés, des cicatrices blanches courant comme des cartes sur sa peau tannée par le soleil. Ils trahissaient son passé de pirate, une vie de défis et de liberté sur les mers tumultueuses, mais leur immobilité soudaine révélait une réflexion plus profonde, une hésitation rare chez elle. Puis, elle releva le regard, ses yeux per?ant les siens avec une intensité qui le cloua sur place, comme une lame plantée dans le bois d’un pont. Une vulnérabilité rare per?ait dans leur éclat, une tempête retenue sous un ciel clair, prête à éclater mais contenue par une force qu’il ne lui connaissait pas encore.
? Tu te souviens, l’année dernière… pendant les vacances, tu t’es amusé sans moi, ? dit-elle doucement, sa voix portant une pointe de tristesse qui contrastait avec son ton habituel, si assuré et mordant. ? Cela m’a rendue jalouse, Mero. Je savais que tu avais tes responsabilités ici, tes études, tes amis… mais je me suis sentie mise à l’écart, comme si je n’avais pas d’importance pour toi. Tu n’as pas réalisé à quel point ?a m’a affectée. ?
Un silence pesant s’installa, seulement troublé par le chant aigu des oiseaux au-dehors – des moineaux virevoltant dans les branches des cyprès – et le murmure de la brise tiède qui agitait les rideaux, les faisant danser comme des voiles sur un navire. Mero sentit une boule se former dans sa gorge, une chaleur désagréable montant dans sa poitrine. L’année précédente, il avait passé l’été à Mor, plongé dans les banquets d’après-examens où les tables débordaient de plats riches et de vin doux, et dans des escapades avec Sven dans l’?le Papillon. Il revoyait les soirées sous les étoiles, les rires qui éclataient autour des feux de camp sur le volcan. Il avait dansé, oublié un instant les mers lointaines – et Mandarine. Ses lettres à elle s’étaient espacées, quelques mots griffonnés à la hate entre deux obligations, ses pensées accaparées par la vie trépidante ici. Il n’avait pas mesuré le vide que cela avait creusé de son c?té à elle, seule sur son ?le ou voguant sur des flots qu’il ne voyait plus.
Elle le fixait toujours, ses yeux expressifs cherchant une réponse, une trace de compréhension ou de réconfort dans son regard encore trouble. La jalousie dans sa voix n’était pas une accusation brutale, pas une tempête décha?née comme il aurait pu s’y attendre venant d’elle, mais une confession fragile, un aveu qu’elle avait porté seule pendant trop longtemps, comme un trésor enfoui qu’elle dévoilait enfin. Mero sentit son c?ur se serrer, une culpabilité sourde le traversant – comment avait-il pu être si aveugle, si insouciant face à ce qu’elle ressentait ?
Sans un mot, il tendit les mains vers elle, saisissant d’abord les siennes, rugueuses mais chaudes sous ses doigts, puis glissant jusqu’à son visage. Il encadra ses joues, ses pouces effleurant la peau tannée par le soleil, et l’attira vers lui avec une urgence qu’il ne contr?lait pas. Leurs lèvres se rencontrèrent dans un baiser qui balaya tout – les doutes qui l’avaient rongé, les silences qui s’étaient accumulés, les distances qui les avaient séparés. Un calme intense l’envahit, dissipant les nuages sombres qui l’avaient accablé depuis des mois, comme un vent chassant la brume au large. Le monde s’effa?a, ne laissant que la chaleur de ce contact, le go?t salé de ses lèvres qui portait encore l’écho de la mer, et le poids partagé de leurs émotions, un courant invisible les reliant à nouveau. Lorsqu’ils se séparèrent, le regard de Mandarine avait changé – plus serein, plus doux, comme une mer apaisée après l’orage, ses yeux brillant d’une lumière nouvelle. Un sourire léger, sincère, se dessina sur ses lèvres, adoucissant les lignes dures de son visage.
? Tu m’as manqué, ? murmura-t-elle, presque dans un souffle, sa voix tremblante d’une émotion contenue, avant de poser sa tête contre son épaule. Ses cheveux effleurèrent sa joue, leur odeur saline mêlée de bois flotté emplissant ses sens. La proximité retrouvée entre eux semblait avoir fait fondre les dernières barrières, un pont fragile mais solide jeté sur l’ab?me qui les avait séparés, un lien renoué dans la lumière tendre de cette matinée de juin.
Ils passèrent la journée ensemble dans la suite de Mero, un refuge baigné de lumière où le temps semblait suspendu, loin du tumulte de l’école et des échos de la fête de la veille. Assis c?te à c?te sur le lit à baldaquin, entourés des soieries bleues qui drapaient les montants comme des vagues figées et des motifs marins – coquillages, étoiles de mer, coraux – brodés en fils d’argent sur les murs, ils se racontèrent leur année. Leurs voix basses se mêlaient au bruissement des rideaux agités par la brise et au chant incessant des cigales qui vibrait dans l’air tiède au-dehors. La pièce, avec ses meubles en bois sombre poli par le temps et sa mosa?que de corail scintillant au sol, semblait respirer l’ame de Sel, un écho de la mer que Mero portait en lui et que Mandarine incarnait si naturellement.
Il lui parla des examens de juin, décrivant la chaleur écrasante des salles d’examen, où la sueur perlait sur les fronts et les plumes grattaient frénétiquement les parchemins gondolés par l’humidité. Il évoqua les épreuves physiques sous le soleil br?lant, l’escrime dans la cour où la poussière dorée s’élevait en nuages, et les éclats de rire autour de la piscine lors de la fête, lorsque même Hélène s’était laissé emporter par le chaos joyeux. Ses mots étaient teintés d’une fatigue encore présente, mais aussi d’une pointe de fierté pour ce qu’il avait accompli – un équilibre entre théorie et pratique qui l’avait hissé parmi les meilleurs.
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Mais ce fut le récit de Mandarine qui le laissa bouche bée, ses yeux s’écarquillant d’incrédulité alors qu’elle parlait, un sourire en coin jouant sur ses lèvres. ? Mon père m’a envoyée dans un monastère, ? lacha-t-elle avec une nonchalance feinte, ses yeux pétillant devant sa réaction. ? Oui, moi, une pirate, clo?trée entre des murs de pierre pour m’éduquer. ?
Mero cligna des yeux, incapable de masquer sa surprise. L’image de Mandarine – audacieuse, libre, défiant les tempêtes sur son navire aux voiles noires, un coutelas à la ceinture et le vent dans les cheveux – s’entrechoquait violemment avec celle d’une silhouette en tunique sobre, penchée sur des parchemins dans un clo?tre silencieux, entourée de moines austères et de chandelles vacillantes. ? Un monastère ? ? répéta-t-il, un rire incrédule lui échappant. ? Toi ? ?
Elle rit à son tour, un son cristallin et chaleureux qui emplit la pièce comme une vague s’écrasant sur une plage. ? Je sais, c’est étrange à imaginer, non ? Mon père, le seigneur pirate, a toujours cru que l’éducation formelle avait sa place, même pour nous, ses enfants sauvages. Il m’a envoyée là-bas pour apprendre ce qu’un pont de bateau ne peut pas enseigner : la lecture, l’histoire, la philosophie… C’était différent. ? Elle marqua une pause, ses doigts jouant distraitement avec une mèche de cheveux noirs, ses yeux se perdant un instant dans un souvenir. ? Au début, c’était dur. Les règles strictes – pas un mot hors des heures permises, des levers avant l’aube, des repas frugaux de pain et de soupe. Les silences imposés me rendaient folle, moi qui suis habituée au fracas des vagues et aux cris des marins. Mais il y avait quelque chose dans ce calme, une paix où je pouvais entendre mes propres pensées pour la première fois. J’ai appris à l’apprécier, à trouver une force dans cette solitude. ?
Mero l’écoutait, fasciné, le menton posé sur sa main tandis qu’il buvait ses paroles. Sous son regard, elle devenait plus complexe encore – une pirate philosophe, une ame indomptable fa?onnée par la mer et affinée par des mois de réflexion dans un lieu qui semblait à l’opposé de tout ce qu’elle était. Il imaginait les jardins du monastère, des carrés d’herbes médicinales bordés de pierres blanches sous un ciel d’été, et Mandarine, assise sous un olivier, un livre ouvert sur les genoux, ses doigts tachés d’encre plut?t que de sel. ? Je suppose qu’on peut être les deux, ? conclut-elle avec un sourire malicieux, et il sentit une admiration nouvelle grandir en lui. Cette force tranquille, cette capacité à s’adapter et à tirer une sagesse inattendue d’un monde si éloigné du sien, ajoutait une profondeur qu’il n’avait jamais pleinement per?ue auparavant.
Ils continuèrent à parler, leurs voix basses se mêlant dans une intimité retrouvée, un échange qui oscillait entre rires et silences complices. Les rayons du soleil traversaient la pièce au fil des heures, réchauffant le bois sombre du bureau où tra?naient encore ses notes d’examens, froissées et tachées d’encre, et projetant des reflets argentés sur la mosa?que de corail au sol, qui semblait scintiller comme une mer sous la lumière. Chaque mot, chaque rire partagé semblait tisser un fil entre leurs mondes – la mer sauvage et indomptée de Mandarine, avec ses tempêtes et ses horizons sans fin, et les murs imposants de Mor, où l’ordre et l’ambition régnaient. Ils évoquèrent des détails insignifiants – une tempête qu’elle avait affrontée au large de Kaz, un professeur excentrique qui avait corrigé ses calculs en sifflotant – et pourtant, ces fragments semblaient précieux, des ponts jetés sur l’année qui les avait séparés.
Le soir venu, ils quittèrent la suite pour rejoindre la salle à manger, où une énergie joyeuse flottait dans l’air tiède de juin, une chaleur douce qui enveloppait l’école comme une couverture. Les grandes fenêtres étaient ouvertes sur les jardins, laissant entrer la lumière dorée du crépuscule qui peignait les pelouses d’un éclat orangé et faisait scintiller les gouttes de rosée sur les haies. Le parfum des fleurs nocturnes – jasmins aux pétales délicats et chèvrefeuilles en pleine éclosion – s’infiltrait dans la pièce, se mêlant à l’odeur chaude du pain fra?chement cuit et des viandes fumées qui emplissaient l’espace. Les tables, débarrassées des traces désordonnées de la fête de la veille par les serviteurs silencieux, débordaient maintenant de plats simples mais savoureux : pains dorés, croustillants à l’extérieur et moelleux à l’intérieur, fruits juteux – figues, grenades, melons tranchés en quartiers luisants – et viandes fumées, accompagnés de carafes de jus frais pressé et de rires qui résonnaient sous les chandeliers éteints, leurs cristaux captant encore les dernières lueurs du jour.
Mero balaya la pièce du regard, un sourire naissant sur ses lèvres alors qu’il absorbait la scène. Ses amis étaient là, réunis dans une ambiance détendue qui contrastait avec la rigueur des semaines passées, une parenthèse de légèreté après les examens et les nuits blanches. Hélène, d’ordinaire si sérieuse et distante, riait aux éclats avec un groupe d’élèves près d’une table chargée de plateaux, ses cheveux dorés détachés tombant en vagues sur ses épaules et captant la lumière comme un halo. Elle échangeait des plaisanteries avec une aisance rare, sa voix claire per?ant le brouhaha, méconnaissable dans cette légèreté qui semblait la libérer du poids de son titre impérial. Dorian, assis près de Ki à l’autre bout de la salle, semblait plus serein, un sourire discret éclairant son visage fatigué alors qu’il discutait avec elle, leurs têtes penchées au-dessus d’un plateau de figues qu’ils partageaient, leurs doigts se fr?lant parfois dans un geste naturel. Sven, fidèle à lui-même, dominait un coin de la table, plaisantant bruyamment avec des camarades autour d’un plat de fromage affiné, son rire tonitruant emplissant l’espace comme une bourrasque joyeuse, ses cheveux bruns en bataille brillant sous la lumière déclinante. Eléonore, à quelques pas, était entourée d’amies, son visage marqué par une tristesse persistante – un écho des épreuves qu’elle avait traversées – mais adouci par la chaleur de la soirée, ses yeux sombres s’illuminant lorsqu’un rire lui échappaient.
Mandarine s’installa à ses c?tés, ses doigts effleurant les siens sous la table dans un geste discret mais chargé de sens. Elle portait une tunique propre un tissu bleu pale qui évoquait les eaux calmes des lagons et ses cheveux, encore humides après un bain rapide, dégageaient une odeur de savon mêlée de sel. ? C’est étrange, n’est-ce pas ? ? murmura-t-elle, un sourire complice aux lèvres, sa voix basse se glissant sous le brouhaha ambiant. ? Se retrouver ici, entourés de tant de gens, après tout ce qu’on a traversé. ?
Mero acquies?a, ses yeux parcourant la salle avec une chaleur nouvelle. Il y avait quelque chose de réconfortant dans cette réunion, une preuve tangible que la vie, malgré ses tempêtes et ses silences, trouvait toujours un chemin vers ces moments de joie simple. Les conversations s’entrecroisaient comme des vagues – récits exagérés des examens, projets de vacances dans les montagnes ou sur les plages de Fer, taquineries légères sur les plongeons ratés de la fête – et les rires formaient une bulle d’intimité et de soutien, un cocon fragile mais précieux dans la vastitude de leurs existences. Mandarine, à sa droite, semblait s’intégrer naturellement, ses remarques piquantes – une anecdote sur une moniale ronfleuse au monastère, une moquerie gentille sur l’endurance de Sven – faisant rire Ki et Sven, tandis qu’Hélène lui lan?ait un regard curieux mais amical, un sourcil haussé comme pour jauger cette nouvelle venue qui osait plaisanter avec une princesse impériale.
La soirée s’étira dans une chaleur douce, les plats se vidant peu à peu sous les assauts des convives affamés, les voix s’adoucissant à mesure que la nuit tombait et que les étoiles commen?aient à percer le ciel indigo visible par les fenêtres. Les ombres s’allongeaient sur les murs de pierre, et la lumière des torches murales, allumées par les serviteurs, dansait sur les visages, accentuant les sourires et les regards complices. Les doutes et les tensions qui avaient pesé sur Mero s’évanouirent, emportés par la convivialité de ce repas partagé, par la présence de Mandarine à ses c?tés et la chaleur de ses amis autour de lui. Il sentit une paix nouvelle l’envahir, une certitude tranquille qu’il était entouré de ceux qui comptaient – Mandarine, avec son rire cristallin et ses yeux per?ants, ses amis, ce cercle imparfait mais essentiel. Même les bouleversements des derniers mois – les examens, les nuits blanches, les silences avec elle – semblaient s’apaiser dans ce refuge de rires et de lumière, un pas vers une normalité retrouvée sous le ciel étoilé de juin.