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Une invitation vers le nord

  Quelques jours après la soirée dans la salle à manger, alors que l’été de juin baignait encore l’école impériale de Mor d’une lumière dorée, Ki rassemblat le groupe dans sa suite aux murs rouge sombre ornés de motifs floraux dorés. Assise près du samovar en argent qui tr?nait sur une table basse, elle posa une main délicate sur une carte ancienne, ses doigts effleurant les contours d’un vaste territoire septentrional. ? Je vous invite tous dans mon royaume, ? annon?a-t-elle avec un sourire discret mais empreint de fierté. ? Le royaume de Qit, au Nord. ?

  Le nom résonna dans la pièce comme un écho venu des confins de l’Empire. Qit, un royaume gigantesque, occupait un tiers des terres impériales, ses frontières s’étendant sur des plaines infinies, des forêts denses et des montagnes aux sommets voilés de brume. Autrefois indépendant, il avait été intégré à l’Empire par un mariage stratégique entre l’empereur et la dernière héritière du tr?ne de Qit, une union qui avait scellé une alliance aussi puissante que symbolique. Désormais, Qit régnait sur toutes les terres du nord, un bastion de pouvoir et de traditions ancré dans un climat rude et des ressources abondantes – minerais précieux, bois robuste, fourrures épaisses.

  Mero sentit une vague d’excitation monter en lui à cette annonce. Il imagina les vastes étendues nordiques, des plaines enneigées balayées par des vents froids, des forêts de pins et de bouleaux s’étendant à perte de vue, leurs aiguilles frémissant sous le soleil pale de juin. Il voyait déjà les rivières de glace serpentant entre des collines douces, et peut-être, au loin, les silhouettes imposantes des montagnes dont les flancs abritaient des légendes anciennes. Qit n’était pas seulement un territoire ; c’était une puissance historique, un royaume dont l’influence politique rivalisait avec sa beauté austère. Le mariage qui l’avait lié à l’Empire n’était pas une simple anecdote, mais un pivot décisif, un acte qui avait redessiné les cartes et les ambitions.

  Mandarine, assise près de lui, croisa les bras avec un sourire en coin, ses yeux noirs pétillant d’enthousiasme. ? Un voyage au nord, hein ? ?a me rappelle les mers glacées qu’on longeait parfois avec mon père. ?a pourrait être amusant. ? Mero devina qu’elle y voyait une chance de renouer avec une part de ses racines, elle qui avait grandi entre les vagues et les tempêtes, dans un monde où la rudesse du climat forgeait les ames autant que les corps.

  Les autres semblaient tout aussi intrigués. Dorian, encore marqué par le deuil de son père, hocha la tête avec un air pensif, comme si un changement d’horizon pouvait apaiser les ombres qui le suivaient. Eléonore, à ses c?tés, esquissa un sourire fragile – un voyage loin des souvenirs douloureux de Mor pourrait leur offrir un répit. Sven, toujours prêt pour l’aventure, tapa dans ses mains avec un rire tonitruant. ? Des terres nordiques ? J’espère qu’ils ont de bonnes tavernes là-haut ! ? Hélène, la princesse impériale, restait silencieuse, mais une lueur calculatrice brillait dans ses yeux. Mero soup?onna qu’elle voyait dans cette invitation une opportunité d’étendre son influence, de tisser des liens avec une région clé de l’Empire.

  Cette invitation n’était pas un simple geste d’hospitalité, comprit-il. C’était une porte ouverte sur la diversité de l’Empire, une chance de découvrir les coutumes de Qit – si différentes de celles du centre impérial – et de mieux saisir les enjeux qui unissaient ces royaumes disparates. Pour Ki, c’était une fa?on de partager ses origines, mais aussi, peut-être, de renforcer les liens entre eux tous. Mero se demanda comment cette aventure influencerait leurs relations, leurs choix futurs, et sa propre vision du monde qu’il croyait conna?tre.

  L’acceptation fut unanime, scellée par des hochements de tête et des murmures enthousiastes autour de la table. Même Hélène, avec son aplomb habituel, s’invita elle-même au voyage, une annonce qui fit hausser quelques sourcils mais que personne n’osa contester. ? Je ne manquerais pas une occasion de visiter Qit, ? déclara-t-elle d’un ton léger, comme si sa présence allait de soi. Ki échangea un regard amusé avec Mero, et il comprit qu’on ne pouvait refuser à la princesse impériale ce qu’elle avait déjà décidé.

  Le voyage promettait d’être fascinant, une plongée dans un royaume aussi mystérieux qu’imposant. Mero imagina le trajet, traversant des terres aux cultures variées – des champs dorés, des vignobles vallonnés– avant de pénétrer dans le nord, où les paysages se feraient plus sauvages, plus austères. Ce serait une échappée loin des fêtes bruyantes et des salles d’examen étouffantes de Mor, une chance de découvrir un autre visage de l’Empire et de mieux comprendre les dynamiques qui unissaient ces royaumes. Ki, visiblement ravie de réunir ce groupe, rayonnait d’une fierté discrète, ses racines nordiques semblant vibrer dans chacun de ses gestes.

  Pour Mero, c’était aussi une opportunité personnelle. Voir Qit, c’était approcher une facette du pouvoir qu’il n’avait jamais touchée, un monde de politique et de traditions forgé par des siècles de résilience. Avec Mandarine à ses c?tés, il pourrait partager cette exploration, renforcer leur lien dans un cadre nouveau. Dorian et Eléonore, malgré leur chagrin, trouveraient peut-être un souffle de paix dans ces terres éloignées. Sven, quant à lui, apporterait son énergie débordante, tandis qu’Hélène, avec ses airs impénétrables, tisserait sans doute ses propres plans en silence. Ce voyage, Mero le sentait, ne serait pas une simple escapade – il porterait en lui des graines de changement, pour eux tous.

  Trois jours furent accordés pour les préparatifs, une période qui passa dans un tourbillon d’activité. Les valises s’empilèrent dans les suites – vêtements légers pour l’été, mais aussi des capes plus épaisses au cas où le nord réserverait des surprises climatiques. Mero vérifia ses affaires dans sa chambre, rangeant ses notes d’examens dans un tiroir et ajoutant un carnet vierge pour consigner ce voyage. Mandarine, avec son pragmatisme de pirate, boucla son sac en un clin d’?il, glissant un coutelas dans une poche latérale ? au cas où ?. Ki coordonna les détails avec une efficacité calme, tandis que Sven plaisanta sur le poids des bagages de Dorian, remplis de livres.

  Le jour du départ, la compagnie des trains déploya le train impérial, une merveille de luxe et de puissance qui ne passait pas inaper?ue. Les wagons, peints d’un noir luisant rehaussé de dorures, évoquaient un palais roulant, leurs fenêtres ornées de vitraux délicats laissant filtrer une lumière tamisée. à l’intérieur, les compartiments étaient aménagés comme des salons somptueux : fauteuils de velours rouge, tables en acajou poli, tapis épais aux motifs floraux. Un compartiment privé fut réservé pour leur groupe, plus intime avec ses banquettes en demi-cercle et une petite table centrale, mais Hélène arriva avec une escorte discrète – deux gardes en livrée impériale et une suivante silencieuse – qui occupa un wagon adjacent. Mero échangea un regard avec Mandarine, un sourire en coin naissant sur leurs lèvres. ? Elle a parlé à l’empereur, c’est s?r, ? murmura-t-elle, et il hocha la tête, convaincu que la princesse avait orchestré ce traitement de faveur.

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  Le départ fut solennel, presque théatral. La capitale s’éloigna lentement derrière eux, ses tours de pierre blonde et ses jardins verdoyants cédant la place à des plaines plus vastes. Le train en chemin s’arrêta dans les gares des autres capitales et grandes villes pour déposer les autres passagers. à chaque halte, la foule diminuait, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que sept d’entre eux dans le compartiment privé : Mero, Mandarine, Ki, Sven, Dorian, Eléonore et Hélène. Les wagons, autrefois bruissant de conversations, devinrent silencieux. à mesure que le train prenait de la vitesse, le paysage se transforma. Les champs dorés laissèrent place à des collines boisées, puis à des étendues plus rudes – la toundra et la taiga du nord, plates et infinies sous un ciel d’un bleu pale. Mero scruta les vitres, surpris par l’absence de neige. à son grand désarroi, il n’y avait pas de neige. Juin avait transformé Qit en un royaume d’été, loin des images de glaciers et de flocons qu’il avait conjurées. Le train traversait la toundra, une étendue plate et aride où des herbes sèches frémissaient sous un vent léger, ponctuée ?à et là de buissons rabougris et de rochers érodés. Plus loin, la taiga s’ouvrait, une forêt infinie de pins et de bouleaux dont les troncs élancés formaient une mer verte sous un ciel délavé. Tout était plat, plus encore que l’océan qu’il connaissait si bien – un horizon sans fin, sans relief, oppressant dans son immensité monotone.

  Mero colla son front à la vitre, observant ce paysage qui semblait figé dans une éternité austère. Il avait espéré des terres nordiques légendaires, des pics enneigés et des lacs gelés, mais l’été avait dépouillé Qit de cette magie hivernale, révélant une beauté rude et dépouillée. Le ciel s’étirait, immense et vide, un bleu pale strié de quelques nuages effilochés, et le soleil, bas sur l’horizon, projetait des ombres longues et ténues sur la terre. Mandarine, à c?té de lui, fixait le même spectacle, ses doigts tambourinant sur la banquette. ? C’est comme une mer sans vagues, ? murmura-t-elle, et il hocha la tête, partageant son sentiment d’étrangeté.

  Ki, en face, semblait apaisée par ce décor, ses yeux suivant les lignes de la taiga avec une familiarité sereine. Dorian et Eléonore, toujours proches, échangeaient des regards perplexes, tandis que Sven marmonnait quelque chose sur l’absence de ? vraie action ? dans ce paysage. Hélène, fidèle à elle-même, restait indifférente, ses mains croisées sur ses genoux comme si cette platitude était une évidence à accepter. Mero réalisa que ce voyage, dans ces terres isolées, était une épreuve de patience autant qu’une aventure – un test de leur capacité à trouver du sens dans l’inattendu.

  Ce fut Ki qui rompit le silence, d’un geste aussi inattendu que ses mots. Elle tendit la main et saisit celle d’Hélène, leurs doigts s’entrela?ant dans un mouvement naturel qui fit sursauter tout le monde – sauf Dorian et Hélène elle-même. Un murmure de stupeur parcourut le compartiment, et Mero sentit ses yeux s’écarquiller. ? Nous sommes cousines, au troisième degré, ? déclara Ki avec une douceur qui contrastait avec la tension ambiante, sa voix claire per?ant le silence. ? Ce voyage n’est plus une affaire d’état ou une simple escapade. à partir de maintenant, c’est une aventure entre amis. C’est ainsi que nous devons le voir, et ainsi que nous devons agir. ?

  La révélation frappa comme une vague, dissipant une partie de la confusion mais soulevant une cascade de nouvelles questions. Mandarine cligna des yeux, un sourcil haussé, tandis que Sven lacha un ? Quoi ? ? incrédule. Mero fixa les deux femmes, cherchant des indices dans leurs regards complices – Ki, calme et assurée, Hélène, satisfaite et presque soulagée. Dorian, détendu pour la première fois depuis le départ, hocha la tête comme si tout cela était évident. ? Je l’ai appris aux funérailles de mon père, ? expliqua-t-il, sa voix basse mais ferme. ? Ki me l’a confié là-bas, dans un moment de calme. ?

  Eléonore, après un instant de réflexion, prit la parole, ses mots posés apportant une clarté bienvenue. ? ?a tient debout. L’ancêtre de Ki s’est marié avec un empereur il y a des siècles. Ces unions ont tissé des liens de sang entre les maisons royales. C’est logique qu’elles soient reliées, même si c’est lointain. ? Elle croisa les bras, un sourire discret naissant sur ses lèvres. ? Nos familles sont une toile complexe, pleine de ponts invisibles. ?

  Mero sentit les pièces du puzzle s’assembler. Ce n’était pas un secret machiavélique, mais un héritage historique, une connexion enfouie dans les annales de l’Empire. Le voyage prenait une nouvelle dimension – une réunion de lignées, un mélange d’amitié et de dynastie. Ki les regarda tous, son sourire s’élargissant. ? Il est important que nous restions unis, non seulement comme individus, mais comme une famille, même si cela semble étrange à certains. ? La dynamique du groupe changea, les r?les se redéfinissant sous cette lumière nouvelle, et Mero comprit que cette aventure pourrait entra?ner des répercussions bien au-delà d’un simple séjour à Qit.

  Pour chasser l’ennui qui mena?ait de s’installer, Mero plongea la main dans son sac et en sortit un jeu de cartes de pirate, un sourire malicieux aux lèvres. ? Une partie, ?a vous dit ? ? proposa-t-il. Mandarine lui fit un clin d’?il complice, ses yeux pétillant de défi. Experte dans ce jeu, elle s’installa près de lui avec une assurance naturelle, mélangeant les cartes avec une dextérité qui trahissait des années de pratique sur les ponts des navires.

  ? Alors, prêt à perdre, Mero ? ? lan?a-t-elle, une touche de malice dans la voix, et il rit, déterminé à lui tenir tête malgré ses chances minces. Les règles étaient subtiles – un mélange de bluff, de stratégie et de chance – et les cartes, usées et jaunies, portaient des dessins de navires, de trésors et de tempêtes. Le groupe s’anima, les regards se concentrant sur les mains qui se déployaient. Mandarine domina rapidement, ses gestes précis et ses rires taquins ponctuant chaque victoire, tandis que Ki, moins à l’aise, plissait les yeux en calculant ses coups. Sven tenta des bluffs audacieux mais maladroits, provoquant des éclats de rire, et Hélène, intriguée, observa plus qu’elle ne joua, un sourire énigmatique aux lèvres.

  Puis vint le tour de Dorian et Eléonore, qui sortirent un jeu de plateau de leur royaume, une bo?te en bois sculpté contenant des pièces délicates – guerriers miniatures, tours en ivoire, ponts fragiles. ? C’est un jeu de stratégie, ? expliqua Dorian avec son calme habituel, tandis qu’Eléonore, plus animée, détaillait les règles : déplacer ses unités pour contr?ler des zones, anticiper les coups adverses, accumuler des points. Le plateau, orné de cartes gravées, devint un champ de bataille miniature, et le groupe se lan?a avec enthousiasme. Mandarine, concentrée, rivalisa avec Eléonore, dont les tactiques aff?tées prirent vite l’avantage. Ki et Hélène, novices mais curieuses, commirent des erreurs qui déclenchèrent des rires, et bient?t, la compétition devint un joyeux chaos, renfor?ant leur camaraderie.

  Sven, refusant d’être en reste, dévoila un jeu d’adresse de son pays, inspiré des osselets mais avec des billes métalliques et des cercles dessinés sur une planche. ? Il faut viser juste, ? dit-il avec un sourire malicieux, lan?ant une bille qui atterrit avec précision dans un cercle éloigné. Le but était simple mais exigeant : placer ses billes dans les zones les plus éloignées sans toucher les lignes ni déloger celles des autres. Les premiers essais furent hésitants – Mandarine excella d’emblée, ses réflexes faisant mouche, tandis que Ki manqua de peu, provoquant un éclat de rire général. Dorian et Eléonore s’adaptèrent vite, leurs gestes mesurés contrastant avec les lancers enthousiastes de Sven, qui envoya une bille hors de la planche dans un juron comique.

  Le compartiment s’emplit de rires et de taquineries, la monotonie du paysage oubliée. La toundra et la taiga défilaient toujours, vastes et impassibles, mais à l’intérieur, ces jeux devinrent un refuge, un moyen de tisser des liens plus forts dans cet isolement. Le temps passa, porté par la légèreté de ces moments.

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