Tout semble en ordre dans les affaires de Mero, et il décide de demander un état précis des dépenses pour évaluer ce qu’il lui reste en réserve. Assis dans son bureau de l’école Impériale de Mor, une pièce aux murs lambrissés de chêne sombre où une odeur de cire et de cuir ancien flotte dans l’air, il tapote distraitement la table de bois massif, ses doigts effleurant les encoches laissées par des années d’usage. Une haute fenêtre à meneaux, encadrée de pierre brute, donne sur une cour intérieure où les pavés scintillent sous une pluie fine, ses vitres embuées laissant filtrer une lumière pale qui éclaire les étagères chargées de volumes reliés aux dos craquelés et de rouleaux de parchemins jaunis. Une cheminée de pierre noire, où un feu crépite doucement, projette des ombres vacillantes sur les murs, réchauffant l’espace malgré l’air frais qui s’infiltre par les interstices des fenêtres mal jointes.
Il fait signe à un serviteur, un jeune homme aux cheveux bruns soigneusement peignés, vêtu d’une livrée gris et argent aux couleurs de l’école, dont les bottes résonnent sur le plancher ciré. ? Convoquez la secrétaire ?, ordonne Mero d’une voix calme mais ferme, ses yeux scrutant une pile de rapports commerciaux posés sur la table – des lettres cachetées de cire rouge, des listes de dépenses griffonnées à l’encre noire, des esquisses de batiments en reconstruction. Il souhaite obtenir un bilan complet des ressources restantes, une vue d’ensemble qui lui permettra d’évaluer les possibilités d’allocation de fonds pour les projets en cours et à venir – les réparations de la ville basse de Mor, où les maisons aux fa?ades de pierre claire s’élèvent lentement des cendres, les comptoirs commerciaux disséminés à travers l’Empire, et ses engagements personnels qui oscillent entre devoir et affection.
La secrétaire arrive peu après, une femme d’age moyen aux cheveux tirés en un chignon strict, ses lunettes rondes perchées sur un nez aquilin. Elle porte une robe de laine anthracite aux manchettes impeccables, un registre épais sous le bras, et s’incline avec une déférence mesurée avant de s’asseoir face à lui, dépliant ses documents sur la table avec une précision méthodique. La pièce, baignée par la lueur pale de la fenêtre et le crépitement des braises, s’anime du bruissement des parchemins qu’elle étale – des colonnes de chiffres soigneusement alignées, des annotations en encre rouge soulignant les dépenses majeures, des notes griffonnées dans les marges retra?ant les flux d’or et d’argent qui ont marqué l’année écoulée.
Après un décompte minutieux des dépenses, la secrétaire lève les yeux vers Mero, ajustant ses lunettes avec un geste rapide. ? Il vous reste environ vingt millions de piastres en or, Votre Altesse ?, annonce-t-elle, sa voix claire résonnant dans le silence de la pièce. ? Au cours de l’année, un million a été englouti dans la création de votre compagnie d’import-export d’épices – les navires aux coques renforcées naviguant vers l’archipel de Sable-Gris, les entrep?ts aux toits de chaume construits dans les Montagnes des Ténèbres, les premières cargaisons d’épices rares acheminées par des caravanes aux clochettes tintantes. Dix-huit millions ont été investis dans l’aide à l’incendie et la reconstruction de la ville – cet argent a été placé sur un compte spécial, utilisé au fur et à mesure des besoins pour ériger des maisons aux murs de pierre ocre et des quais de bois massif le long du fleuve scintillant de Mor. Enfin, un million a couvert les frais de l’école – les cinq cent mille piastres annuelles pour les cours, le logement et la nourriture dans ces salles aux plafonds vo?tés et ces dortoirs aux fenêtres donnant sur des cours pavées – ainsi que diverses dépenses personnelles, des tuniques brodées aux cadeaux envoyés à des êtres chers. ?
Mero écoute en silence, son regard fixé sur les chiffres qui s’alignent comme des sentinelles sur le parchemin, ses doigts tambourinant doucement sur le bois de la table. La ville basse de Mor s’étend dans son esprit – les rues pavées bordées de batiments aux toits de tuiles rouges encore humides de la dernière pluie, les places où les habitants s’assemblent sous des auvents de toile délavée pour discuter des travaux, les quais animés par le claquement des cordages et le cri des bateliers transportant des marchandises sur des navires aux coques rapiécées. Il réfléchit, une ombre de préoccupation traversant son visage. Les investissements dans son entreprise et la reconstruction lui rapporteront des bénéfices à long terme – les épices rares vendues dans les marchés aux étals de bois sculpté, les taxes des comptoirs florissants – mais il a trop dépensé à l’école. Les salles de cours aux murs de pierre gris, où les professeurs débitent leurs le?ons sous des plafonds vo?tés ornés de fresques fanées, et les dortoirs aux lits de bois massif alignés sous des fenêtres donnant sur des cours pavées, ont englouti une part de ses fonds qu’il juge excessive. Il doit se ressaisir, rétablir un équilibre entre ses ambitions et ses ressources.
Avec les vingt millions de piastres en or restants, il dispose encore d’une base solide, mais il sait qu’un ajustement s’impose pour mieux gérer ses finances à court terme. Il réalise qu’il lui faut garder une vision à long terme – les revenus futurs de ses comptoirs, les taxes des marchands installés dans les entrep?ts aux murs de pierre ocre – tout en limitant les dépenses immédiates, notamment celles de l’école qui ont dépassé ses prévisions. ? Concernant mon budget à l’école ?, commence-t-il, sa voix ferme mais empreinte d’une autorité naturelle, ? je me dois de payer cinq cent mille piastres par an pour les cours, le logement et la nourriture – les repas servis dans la grande salle aux tables de chêne massif, sous des plafonds vo?tés où les lustres de fer forgé projettent des ombres dansantes, les nuits dans les dortoirs aux murs de pierre blanche où les vents d’automne s’infiltrent par les fenêtres mal jointes. Mais mes dépenses personnelles ne devront pas dépasser vingt-cinq mille piastres par mois. Cela me permettra de maintenir mon niveau de vie sans affecter mes finances à long terme. ?
La secrétaire prend note avec une diligence silencieuse, ses doigts serrant la plume qui gratte le parchemin dans un bruissement léger, l’encre noire s’écoulant en lignes nettes sous la lumière vacillante du feu. ? Je veillerai à ce que vos instructions soient suivies, Votre Altesse ?, assure-t-elle, ajustant ses lunettes avec un geste rapide avant de lever les yeux vers lui. ? Votre budget sera ajusté en conséquence, et les dépenses mensuelles resteront dans cette limite. ? Elle incline la tête en signe de respect, puis se retire, laissant Mero seul dans la pièce où les braises crépitent doucement, projetant une chaleur apaisante sur les murs lambrissés et les étagères chargées de parchemins roulés.
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Quelques jours plus tard, un coup discret retentit à la porte du bureau, brisant le silence de l’après-midi. Mero lève les yeux de ses parchemins, où il annotait un rapport sur les travaux près du fleuve. ? Entrez ?, dit-il, sa voix résonnant dans la pièce aux murs lambrissés où une odeur de cire chaude flotte encore dans l’air. La porte s’ouvre, et Ma?tre Antonin appara?t, suivi de Leila, un sourire rayonnant illuminant son visage fatigué. Dans ses bras, elle tient un bébé enveloppé dans une couverture de laine douce, une petite fille au visage paisible qui dort dans un sommeil léger.
Mero se lève, un mélange de surprise et de chaleur traversant son regard. Il n’a pas vu Ma?tre Antonin depuis son mariage. Leila, radieuse malgré les cernes qui marquent ses yeux, s’avance avec une grace tranquille, le bébé blotti contre elle. ? Nous te saluons chaleureusement ?, dit Antonin, son sourire plus large que jamais, ses yeux pétillant d’une fierté évidente. Il incline la tête en signe de respect, puis ajoute : ? Voici notre petite Amélie. Nous avons attendu ce moment avec impatience, et elle est tout ce que nous espérions – une lumière dans nos vies. ?
Leila lui adresse un sourire doux, ses yeux brillants de tendresse alors qu’elle berce légèrement l’enfant. ? Je suis si heureuse que tu sois là pour partager ce moment avec nous ?, dit-elle, sa voix empreinte d’émotion. ? Elle porte déjà un peu de l’histoire de notre famille. ? La petite Amélie, dans son sommeil paisible, semble rayonner d’une innocence qui adoucit l’atmosphère de la pièce, ses joues roses contrastant avec la laine blanche de sa couverture.
Mero s’approche, son regard s’attardant sur le visage de l’enfant avec une curiosité mêlée d’affection. ? Amélie ?, murmure-t-il, une note de révérence dans la voix, ? comme mon arrière-arrière-grand-mère. Une reine qui a protégé le royaume de Sel pendant quinze ans après la mort de son mari, élevant seule leur unique enfant. Un nom légendaire chez nous, porté par une femme dont les décisions ont fa?onné nos c?tes et nos mers. ?
Antonin et Leila échangent un regard complice, visiblement touchés par la profondeur de ce nom et l’histoire qu’il incarne. Antonin, d’un ton admiratif, répond : ?Nous avons choisi ce prénom pour Amélie non seulement pour sa sonorité, mais aussi dans l’espoir qu’elle grandisse avec une part de cette force et de cette sagesse qui ont marqué notre histoire. ?
Leila, les yeux brillants de fierté, ajoute avec un sourire tendre : ? Nous espérons qu’elle aura l’esprit de cette reine, mais surtout sa capacité à apporter l’harmonie et la paix, même dans les moments les plus sombres. ? La petite Amélie, dans son sommeil, semble presque incarner la tranquillité de ces valeurs légendaires, ses lèvres esquissant un léger sourire alors que Leila la berce doucement.
Antonin s’installe sur une chaise près de la table, ses vêtements de voyage – une tunique de laine grise aux manchettes élimées et un manteau épais aux teintes de la mer – encore marqués par la poussière des routes, curieux de conna?tre les pensées de Mero. Leila prend place à ses c?tés, posant Amélie dans un berceau improvisé fait d’une couverture pliée sur une chaise voisine, ses petites mains s’agitant légèrement dans son sommeil. La pièce, avec ses murs lambrissés et son feu crépitant, s’emplit d’une chaleur familiale qui contraste avec l’austérité habituelle de l’école, ses salles aux plafonds vo?tés et ses dortoirs aux murs de pierre blanche où les vents d’automne sifflent à travers les fenêtres.
Puis, après un échange de nouvelles sur la ville, Antonin et Leila font part de leur souhait de retourner au royaume de Sel pour élever Amélie. Les mots tombent comme une pierre dans l’eau calme, et Mero ressent un pincement au c?ur, une douleur silencieuse qui se mêle à une compréhension profonde. Leila, qui a partagé tant de moments avec lui – les longues soirées dans les salles du palais de Sel, les discussions sous les auvents des marchés près du fleuve, les épreuves traversées dans l’ombre de l’incendie – s’apprête à tourner une page qu’il n’avait pas encore envisagée.
? Je sais que vous avez vos raisons ?, dit-il, un léger sourire éclairant son visage malgré une ombre de mélancolie dans ses yeux, ? et je suis heureux que vous retrouviez notre royaume. ? Il marque une pause, sa voix s’adoucissant. ? Mais sachez que cette porte restera toujours ouverte pour vous, à tout moment. ? Antonin incline la tête avec une gratitude silencieuse, ses yeux reflétant une reconnaissance sincère.
Leila le regarde, ses yeux brillants d’émotion alors qu’elle ajuste la couverture autour d’Amélie. ? Je ne partirai jamais de ton c?ur ?, murmure-t-elle, sa voix tremblante mais ferme, ? même si mes pas me mènent ailleurs. Je serai toujours là, dans le vent et la mer de l’archipel, quelque part dans chaque vague. Et toi aussi, tu resteras une part de ma vie. ? Antonin, plus pragmatique mais tout aussi ému, ajoute : ? Merci. ?
Le départ approche, et alors qu’ils se lèvent pour prendre congé, Mero sent que cet au revoir marque une transition plus profonde qu’il ne l’avait imaginé. Leila, Ma?tre Antonin et leur fille s’apprêtent à retourner au royaume de Sel, leurs silhouettes s’éloignant dans le couloir aux murs de pierre froide, leurs pas résonnant sur le plancher jusqu’à s’évanouir dans le silence. Les rues de Mor, avec leurs maisons aux fa?ades de pierre claire bordées de ruelles pavées, leurs quais animés par le claquement des cordages et les cris des bateliers s’étendent au-delà des fenêtres, mais dans son esprit, Mero voit déjà les rivages de Sel – les plages de sable blanc bordées de palmiers aux troncs inclinés, les quais où les navires aux voiles rapiécées dansent sur les vagues turquoise, les marchés aux étals de bois brut débordant de poissons séchés et d’épices rares.
Quand ils arriveront au royaume, une surprise les attendra. Mero décide de leur offrir cinq cent mille piastres pour les aider à batir leur vie là-bas, un geste de générosité qui leur permettra de s’établir sans les contraintes du service impérial, loin des missions qui les enverraient aux quatre coins du monde. Il sait que cette somme leur offrira la liberté de choisir leur voie où Amélie grandira, entourée des parfums de sel et d’épices qui définissent leur terre natale.
Il rédige une lettre avec une délicatesse réfléchie, assis à son bureau où la lumière pale filtre à travers la fenêtre à meneaux, l’odeur de la cire chaude emplissant l’air alors qu’il scelle ses mots dans une enveloppe de parchemin épais. ? à Ma?tre Antonin et Leila ?, commence-t-il, sa plume glissant sur le papier dans un bruissement léger, l’encre noire s’écoulant en lignes nettes. ? Je souhaite que cette somme, cinq cent mille piastres en argent, soit un présent pour vous et Amélie. Vous avez partagé des moments précieux avec moi, et je tiens à vous offrir cette aide pour que vous puissiez construire une vie paisible et épanouie dans notre royaume. Vous ne serez pas contraints de servir l’Empire comme des pièces d’un jeu impérial, mais libres de tracer votre chemin, avec la sécurité de savoir que vous êtes soutenus. Que cette contribution soit un tremplin pour votre bonheur, et qu’elle vous permette de vous installer sereinement dans un avenir prometteur. Avec toute mon amitié, Mero de Sel. ?
Il fait en sorte que la lettre accompagne les fonds, soigneusement rangés dans un coffre de bois sculpté aux ferrures de fer, orné du trident de Sel, et qu’ils soient remis à leur arrivée dans le royaume. Ce geste, un témoignage d’amour et de générosité, apaise Mero alors qu’il imagine leur surprise, un sourire tendre traversant son visage fatigué par les défis de l’année écoulée.